Deux ans après la réunion de Sole, Slug, Alias et Dose One qui a donné naissance à Anticon, sort le disque commun des quatre MCs sous le nom de Deep Puddle Dynamics, réponse cinglante aux détracteurs qui jugeaient le rap du label trop étrange, trop élaboré, trop intellectuel et trop blanc pour valoir le détour.

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Cette année, Anticon a décidé de frapper fort. Plus d’un an après le début de la hype, ce label phare basé sur la Baie de San Francisco, mais avec des connexions dans toute l’Amérique du Nord, poursuit son irrésistible ascension, multipliant les sorties et abattant avec The Taste of Rain... Why Kneel?. Sous le nom énigmatique de Deep Puddle Dynamics et de son album se cachent en effet le noyau dur d’Anticon, représenté par les MC’s Sole, Slug, Alias et Dose One et par les producteurs DJ Abilities, Moodswing9, JEL, Ant et DJ Mayonnaise. Commencé deux ans auparavant, cette œuvre à l’origine même du label, améliorée, finalisée, voit enfin le jour. Grandiose, elle est une réponse cinglante aux nombreux détracteurs qui jugeaient le rap d’Anticon trop étrange, trop élaboré, trop intellectuel et trop blanc.

Etrange, élaboré, intellectuel (et blanc aussi, sans doute), The Taste of Rain... Why Kneel? l’est bel et bien. De même que glauque, sombre et menaçant. Tous ces qualificatifs s’appliquent d’emblée au premier titre de l’album, le très lourd "Deep Puddle Theme Song", à son accompagnement d'outre-tombe et aux flows des quatre MC’s, qui se succèdent à toute allure, voire se superposent avec des paroles différentes. Usant de métaphores aquatiques, filées tout au long de l’album, les Deep Puddle Dynamics achèvent ce premier titre d’apologie par ces mots de Dose One : "Life is but a sinking feeling" (la vie n’est rien qu’une sensation de noyade). Le choc risque d’être grand pour ceux qui ne connaissaient pas Anticon.

Et pourtant, la suite, "The Candle", est encore supérieure. Trois ou quatre notes de piano, lourdes, rares, espacées, répétitives et minimales, égayées très rarement par quelques cuivres étouffés, suffisent à créer le bijou de cet album, prouvant que le hip hop mélancolique n’est pas qu’une vue de l’esprit. Les deux titres suivants, tout en ambiance, s’éloignent encore davantage du rap traditionnel : alors que "Thought vs Action" propose de lointains et éthérés choeurs féminins sur fond de basses minimales et d'un beat inhabituel, sourd, heurté et espacé, "Where the Wild Things Are" rompt l’ennui des premières secondes par un piano obsédant utilisé comme une relance et relayé à son tour par de nouveaux chants surnaturels.

Armé de son beat lourd et ouaté à la Portishead, "June 26th 1998" (la date à laquelle a été enregistrée la première ébauche de l’album) est d'un abord plus évident, avant de redevenir tourmenté, dominé par des choeurs masculins et imbriqué de parties d’apparences distinctes. Même jugement pour "The Scarecrow Speaks", qui, outre des croassements réguliers, propose des cordes très sombres et très lentes. Ca n’est qu’après ce titre que The Taste of Rain... Why Kneel? s’essouffle, avec un "I am Hip Hop" au gimmick un brin saoulant, et malgré un Dose One en pleine forme, puis un "Heavy Ceiling" creux.

La pause est cependant de courte durée, suivie qu’elle est du grandiose et halluciné "Slight", derrière lequel pointe l'orage, étouffé, menaçant, de "Exit", puis d’un "Purpose" qui utilise au mieux de nouveaux choeurs féminins. Du tout se dégage une mélancolie, un esprit de malaise, que jamais ne vient ruiner le flow sans relâche des quatre comparses, et qui trouve son aboutissement dans "Mothers of Invention", titre haut en couleur dont les paroles de fin sont la clé de l’album : "As a child, I was afraid of the storm, but now I welcome the rain" (Enfant, les tempêtes m’effrayaient ; mais à présent, la pluie me réjouit).

Bref, non seulement la plupart des morceaux tiennent facilement la route, mais encore le tout forme un ensemble solide et cohérent, ce qui est étonnant vue la diversité des producteurs. The Taste of Rain... Why Kneel? n’est pourtant pas exempt de critique. L’ennui pointe sur deux morceaux du cœur de l’album, et les quatre MC’s qui se disputent la vedette sont de valeur inégale : alors que Sole confirme qu’il est meilleur patron de label que rappeur, Dose One et ses élucubrations nasillardes dominent ses camarades de la tête et des épaules.

Au final, les Deep Puddle Dynamics prouvent pourtant à leurs nombreux adversaires (trop contents de pointer du doigt l’intérêt croissant des fans de musiques électroniques pour Anticon) que leur étrangeté n’est pas un cache-misère, que leur disque, même terriblement inégal, est fait de nerfs, de sang et de chair. Bref, de hip hop, quelque part.