A l'origine, Project Pat semble évoluer en marge du grand groupe de Memphis. Il est le frère de Juicy J, et à ce titre il est affilié à la Three 6 Mafia. Mais la prison ne lui permet de prendre une part plus active à leur épopée. Un album sort en 1999 sur Hypnotize Minds, Ghetty Green, mais ça n'est que l'année d'après que Patrick Houston commence à faire impression, en chantonnant le refrain entêtant du tube "Sippin' On Some Syrup". Puis suit son morceau de bravoure, "Chickenhead", celui même qui ouvre bravement un troisième opus, Mista Don't Play: Everythangs Workin, qui deviendra au fil des ans un grand classique du rap sudiste.

PROJECT PAT - Mista Don't Play - Everythangs Workin

Du rap sudiste seulement, de prime abord. Car au début, le public rap canal historique peine à être séduit. Beaucoup de choses heurtent, avec cette sortie. Sa longueur est excessive, quoiqu'en phase avec tous les albums rap de l'époque. Son style vocal est répétitif, il tourne à la formule, quand il appuie la dernière voyelle de chaque rime. Et puis, il y a naturellement l'ambiance "Hypnotize Zone" (pour paraphraser DJ Paul), celle de ce North Memphis dont se réclame le rappeur sur le posse cut "Fuckin Wit The Best" et sur "North North", un titre qui figurait déjà sur une sortie précédente.

On retrouve les provocations attendue : l'apologie du crime et de la violence ("Break Da Law 2001", "We Can Get Gangsta", "Ski Mask", "Aggravated Robbery"), l'amour pour la weed ("Whole Lotta Weed", "So Hi") et le dédain pour des femmes évidemment lubriques et infidèles, manifeste sur ce "Don't Save Her" dont le refrain sera repris beaucoup plus tard par un homme aux antipodes de Project Pat, J. Cole.

Pour l'heure, on ne comprend pas encore ce rap-là. On ne voit pas que la misogynie à l'œuvre sur le grand tube sudiste "Chickenhead" est surtout un jeu, un exercice de style, une énième descendance des dozens, ces concours d'insultes autrefois populaires chez les esclaves. Si Project Pat s'attaque à la gent féminine, il laisse néanmoins cette dernière s'en prendre vertement à lui, à travers La Chat. Et la même rappeuse remet ça sur "Y’all Niggaz Ain’t No Killaz, Y’all Niggaz Some Hoes", traitant de putes les gangsters d'opérette.

De même, on ne saisit pas tout de suite la qualité de la production, tant elle est typique du style de Memphis (ce très bon "If You Aint From My Hood" à plusieurs mouvements, cette suite à un standard de la Three 6 qu'est "Break Da Law 2001", cet horrifique "We Ain’t Scared Ho"), ou plus généralement de la touche soulful du Sud (ces "Gorilla Pimp" et "Life We Live" qui samplent Bobby Womack et Curtis Mayfield), auxquels certains peinent encore à se familiariser.

Le classique ignoré. L'album qui ne ressemble à rien, celui qui, à sa sortie, recueille beaucoup de critiques dubitatives et condescendantes, mais qui les années passant, devient l'une des œuvres les plus influentes de son époque. Mista Don't Play: Everythangs Workin en est l'exemple même.

Avec son style gangsta invétéré et irrémédiablement générique, avec son rap à la fois cadencé et chantonné, l'air de rien, qui déblatère d'un ton pince-sans-rire des énormités sur les filles, la drogue, l'argent, avec ces rimes simples et ces ritournelles à la fois enfantines amorales qui vous restent coincées dans la tête ("Cheese And Dope"), le Project Pat de ce disque aura un impact décisif sur la génération future de la scène de Memphis, celle de Yo Gotti et Young Dolph. Au-delà, il sera aussi un modèle pour la trap music délicieusement absurde de Gucci Mane et donc, par son intermédiaire, pour une grosse portion du rap du XXIème siècle.

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