A l’origine il y a Recyclone, artiste de Halifax proche des Sebutones, tenant d’un rap industriel et apocalyptique, un inconnu pour le commun des mortels, mais un secret jalousement gardé pour les autres. Or, parmi ces autres précisément, parmi ceux qui ont eu le privilège de découvrir très tôt le talent du bonhomme, il y a un certain soso, le patron de Clothes Horse Records, inventeur à lui seul d’un nouveau genre de hip-hop marqué par la déprime, la lenteur et un extrême dépouillement. De sa bonne ville de Saskatoon, à l’autre bout du Canada, le second décide un jour de se manifester auprès du premier et d'enclencher ainsi une collaboration en deux actes. L'an passé, cette coopération a pris la forme d'un CD intitulé Corroding the Dead World, compilation des deux premiers albums de Recyclone sortie sur Clothes Horse. Et quelques mois plus tard, elle se poursuit par la sortie d’un album commun.

RECYCLONE & SOSO - Stagnation and Woe

Sur Stagnation and Woe, le rappeur et son fan se sont parfaitement compris. Chacun semble avoir fait un pas vers l’autre. Recyclone a su domestiquer son rap halluciné et colérique pour qu’il s’accorde au mieux aux beats sobres et ténus de soso. Tandis que ce dernier a orné ses habituelles compositions lentes et mesurées de sonorités abrasives et dérangeantes, réminiscences des musiques passées du rappeur d’Halifax. Et c’est exactement ce qu’il fallait pour coller à la poésie pessimiste et aux visions de fin du monde de Recyclone. Rentrée, la rage du rappeur n’en est que plus convaincante, sa capacité d’évocation plus puissante. La réussite est totale sur le "Gearbox Therapy" d’introduction, l’un des plus beaux titres des carrières respectives des deux artistes, le plus évidemment bon de ce court album. Elle est aussi au rendez-vous sur d’autres morceaux, par exemple le court mais somptueux "Ghosts".

Cependant, avec sa musique squelettique, faite de quelques notes de piano, guitare, violon ou violoncelle, soso avance sur un fil. Comme d’habitude, mais aussi plus que jamais, il est en équilibre précaire sur la frontière qui sépare le sublime et le chiant. Et quelquefois, malheureusement, il lui arrive de mettre le pied du mauvais côté, par exemple sur "Trash Culture". Recyclone, lui, est plus constant. Posées plus que déclamées, ses paroles sont homogènes. C’est le même flux continu de noirceur, la description interminable d’un monde dévasté, le nôtre en fait, une volée de textes cryptiques qui dissimulent une dénonciation de nos vies de robots consuméristes, du culte du corps et du dieu argent. C'est toujours le même ton, jusqu’à cette conclusion en forme d’ouverture, une plage intitulée "The Introduction" en tout point différente des autres, un posse cut avec les gens du groupe Second Front, un titre où le rappeur se décide finalement à hausser la voix et à chercher une issue au monde gris qu’il s’est employé à décrire jusqu’ici, une fin de premier choix pour ce concept album orageux et menaçant conçu par deux artistes clés du rap contemporain, destinés à oeuvrer ensemble.

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