S'il est si souvent question de rap canadien sur ces pages, c'est que depuis quelques années, deux scènes lui permettent de vivre et de produire régulièrement des sorties d'anthologie. La première scène est Halifax, laquelle ne s'arrête pas, loin s'en faut, aux seuls Sixtoo et Buck 65. La seconde est Winnipeg, grâce au label Peanuts & Corn, du producteur et rappeur mcenroe. Le mérite de Taking Care of Business est de réunir des représentants de ces deux petits univers. Sorti par Skratch Bastid (membre des 1200 Hobos et double vainqueur du Scribble Jam dans la catégorie DJs) à l'occasion d'une tournée commune, l'album réunit du beau monde.

SKRATCH BASTID, PIP SKID & JOHN SMITH - Taking Care of Business

Côté Peanuts & Corn, Pipi Skid et John Smith viennent poser leurs raps. Côté Halifax, Bastid lui-même se charge des platines, sans oublier les apparitions de Roosevelt Tharpa (alias Tachichi et Kunga219) au micro, de leur comparse Gordski à la production de quelques titres et du beatmaker JoRun. A ceux-là s'ajoutent d'autres encore, notamment Yosuke pour un intermède en Japonais, et Sleep d'Oldominion, lequel, entre les Chicharones (son duo avec Josh Martinez) et cette présente collaboration, semble devenu maintenant un résident permanent d'Halifax.

Ensemble, les trois hommes et leurs acolytes sont parvenus, et ce n'est pas une mince affaire, à capturer l'énergie de leurs concerts. Pas d'inquiétude pour les deux Hip Hop Wieners, John Smith et Pip Skid, Nous savons que le rap calme, détaché et précis du premier est solide. Nous savons aussi que celui plus criard et belliqueux de Pip Skid, parfois lassant sur ses albums solos, est toujours efficace en collectif. Ensemble, ils délivrent du pur hip-hop à la Peanuts & Corn, ce point d'équilibre parfait entre critique sociale et rap festif. La seule différence, peut-être, est dans ce ton qui a rarement été aussi enlevé et emporté. Comme un hip-hop old school dans l'esprit, mais très contemporain par ailleurs. Les concerts d'où sont issu ce disque sont sans doute pour quelque chose dans tout cela, mais sûrement pas autant que la production.

Produit par un DJ, un vrai, Taking Care of Business est un album qui tape et qui virevolte. Avec Bastid, les beats gagnent en punch, en folie et en immédiateté ce qu'ils perdent en subtilité par rapport à mcenroe, le producteur habituel de John Smith et Pip Skid. Avec leurs scratches et leurs cuivres à faire tomber une fois encore les murs de Jéricho, certains titres donnent une envie furieuse de bouger. Cela ne va pas toujours sans faux pas, sans pertes de régime, sans instrus funky ennuyeuses, mais les bons moments dominent, surtout dans la première moitié.

Selon le texte promotionnel de l'album, "I Ain't Lazy", "Murphy's Law", "Reapin' The Benefits", "Get Nice" et "Ebb & Flow" sont les titres les plus notables. Ils sont bons, c'est juste, surtout le dernier cité, un magnifique solo de John Smith où il est question de cette succession de fortune et de revers qu'est la vie. Mais d'autres morceaux méritent largement autant le détour, sinon plus, comme ce "Collecting Empties" à bondir dans tous les sens, comme "Lay Awake", sa flûte et son cuivre fatigué, comme le remix de "I Ain't Lazy" par Gordski et surtout comme ce formidable "Step to Gettin'" aux chœurs vocodorisés produit de main de maître par le même. Grâce à tout cela, Taking Care of Business est globalement une réussite. Ensemble comme séparément, les artistes qui y prennent part continuent à rendre le rap canadien passionnant.

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