Au moment où Buck 65 semblait à deux doigts de la réussite crossover, à l'époque où l'ancien bricoleur hip-hop et le parrain de l'improbable rap scène d'Halifax s'est retrouvé chez la major du disque Warner, toute une histoire a été bâtie autour de son personnage, toute une storyline : en ce milieu des années 2000, Rich Terfry était donc le rappeur qui s'était converti au folk et à la country. Tout cela n'était pas infondé. Amateur pur et dur de rap, à l'origine, le Canadien s'était bel et bien penché sur ces musiques, sous l'influence des rockeurs qui dominaient le premier label qu'il avait rejoint, Murder Records. Mais le trait a sans doute été trop forcé au moment de Talkin' Honky Blues, son album le plus markété. Et dès 2007, Buck 65 faisait marche arrière et semblait renouer avec le hip-hop, avec l'album Situation.

BUCK 65 - Porch

La même année, pourtant, il sortait en catimini son projet le plus extrême en matière de folk et de country. Il ne s'agissait en fait que d'un bête tour CD, au tracklisting approximatif, qui ne comptait que six malheureux titres. Ces derniers n'étaient même pas des originaux, mais les resucées de morceaux qui, déjà, étaient les plus country de ses derniers albums. "Blood of a Young Wolf" existait dans une version plus habillée sur Secret House Against the World, le meilleur de ses projets grands publics. Deux titres étaient issus de Talkin' Honky Blues : "Craftmanship", et son single phare "Wicked and Weird", qu'il mélangeait curieusement à "Coo Coo Bird", une vieille chanson folk de Clarence Ashley. Et à ceux-là, s'ajoutaient "Heather Nights" et "Indestructible Sam", qui figuraient déjà sur le EP Dirtywork sorti un an plus tôt, et "Way Back When", qui pour sa part se retrouvait sur Situation.

Cependant, l'approche était différente. Alors qu'auparavant, les influences de Buck 65 s'exprimaient dans un cadre hip-hop, conformément à la culture du recyclage qui domine cette musique, cette fois, c'étaient de véritables morceaux de country et de folk qu'il nous présentait. C'étaient des chansons dépouillées, sans rythme, sans percussion, accompagnées uniquement de John Zytaruk, un multi-instrumentiste issu de Toronto, que l'on retrouvera sur la série de mixtapes Dirtbike. Il jouait ici des guitares, banjos, dobros et mandolines de circonstance, pendant que l'acteur majeur de cette sortie lui apportait sa voix et quelques notes de glockenspiel, et que, à l'occasion, il battait le rythme avec son pied. Buck 65 s'exprimait d'une voix basse, comme un vieux cowboy fatigué. En homme fourbu revenu de tout, il évoquait, sur "Heather Nights", le souvenir d'un amour passé qu'il qualifiait de "punk rock country girl", sur rien d'autre ou presque qu'une guitare sèche. Il mettait en scène des personnages improbables et attachants : sur "Craftmanship", un cireur de chaussures promoteur de l'artisanat, et sur "Indestructible Sam", un fossoyeur qui avait vécu après la Guerre de Sécession.

Chiche, court, le profil bas, Porch est sans doute plus une curiosité qu'une pièce essentielle de l'œuvre du Canadien. Mais, il contenait quelques tours de force. Par exemple, en le débarrassant de ses atours, Buck 65 apportait une nouvelle jeunesse à "Blood of a Young Wolf", aussi bon en acoustique que dans sa version plus produite. Il restait bien un petit quelque chose de rap dans son phrasé saccadé, tout comme dans ses allitérations, mais pas tant que ça : ce dernier a, de toute façon, toujours été un conteur d'histoires plutôt qu'un athlète du micro. Même quand il était un rappeur, il était déjà, quelque part, un barde country.

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