Apparu à la fin des années 90 au bénéfice de la vogue du rap indépendant, Anticon est un monde à part au sein de l'underground hip-hop. Installé alors, comme tant d'autres rappeurs, sur la trépidante Baie de San Francisco, mais regroupant des gens originaires de tous cieux, le label mené par Sole a su fédérer autour de lui une importante communauté d'artistes marginaux, en rupture avec les routines du rap.
Le hip-hop, normalement, est porté alors par des hommes noirs. Il se veut une émanation de la rue, il plonge ses racines dans la Great Black Music, il révère les rythmes hypnotiques et les boucles austères. Sole et sa bande, cependant, sont tous blancs, middle-class, ils flirtent souvent avec la pop indé et l'électronica, et leur musique part dans tous les sens.
Décomplexés par l'aventurisme des groupes à la Company Flow, assumant toutes ces caractéristiques qui, en d'autres temps, auraient été leurs handicaps, ils en font un avantage, poussant le hip-hop sur des voies nouvelles, ouvrant grand la fenêtre pour faire entrer de larges bouffées d'air frais.
Dès 1999, le label est le chouchou d'une portion singulière de l'underground hip-hop, celle qui s'agite sur Internet. Et en dehors du Web, les critiques des magazines Wire et Muzik les révèlent alors à un public plus large. Cependant, il faut attendre l'année suivante pour voir un de ses groupes distribué en France, même pas sur Anticon, le comble, mais via le label Mush et les Anglais de Big Dada. Et manque de chance pour qui souhaite s'initier en douceur au son du label, cLOUDDEAD est le plus extrême de leurs projets.
Entreprise commune du producteur Odd Nosdam, du rappeur Why? et du fantasque et prolifique Dose One, reconnaissable à sa voix nasillarde et à ses paroles fantaisistes, cLOUDDEAD frappe fort. Plus abscons que jamais, le rappeur de l'Ohio et son comparse posent sur des compositions éthérées qui ont bien plus à voir avec le post rock ou l'ambient de Brian Eno qu'avec des beats hip-hop. Histoire de pousser plus loin le concept, l'album est divisé en six grands titres alambiqués, eux-mêmes décomposés en mouvements, autrefois disponibles séparément en format maxi, et qui comptent à chaque fois un invité, soit un affilié à Anticon, soit une autre figure underground, tel le rappeur Illogic.
Tout en expérience, en abstraction, ce rap-là rappelle les égarements passés du rock progressif, mais il n'y sombre pas. Au contraire, dans de grands moments comme les deux "Jimmy Breeze" et "Apt.A (2)", il n'y a plus que de la grâce.
Quant à savoir si cela est encore du hip-hop… Le débat n'est pas clos, et il n'a de toute façon pas la moindre importance.