Goodie Mob a vécu dans l'ombre d'Outkast, sans jamais connaître le même destin glorieux. Autant que de les lancer, leur présence sur le premier album des deux autres, Southernplayalistcadillacmusic, les aura présentés comme une doublure. Plus tard, en cette fin des années 90 où Big Boi et Andre 3000 partiront à la conquête du grand public, l'autre grand groupe rap d'Atlanta manquera sa tentative de séduction avec World Party. Et malgré leur positionnement crossover, les albums solo de Cee-Lo manqueront aussi leur cible.

GOODIE MOB - Soul Food

Il faudra attendre 2006 et le single "Crazy" de Gnarls Barkley pour que le plus notable des membres de Goodie Mob rencontre enfin le succès, pendant que ses anciens compères peineront à faire survivre ce qu'il restera du groupe, dans une indifférence presque générale. Et pourtant, le premier grand chef d'œuvre du Dirty South est bel et bien un disque de Goodie Mob, et non pas un Southernplayalistcadillacmusic certes excitant, mais très inégal. Ce premier vrai classique du rap du Sud, c'est le bien nommé Soul Food, sorti en 1995.

Ce disque n'annonce pourtant en rien la tournure populiste que prendra le hip-hop du Sud. Non, bien au contraire. Comme son nom l'indique, comme sa pochette le montre aussi avec ces hommes noirs en pleine méditation, Soul Food est un disque spirituel. Il est un héritier de la Great Black Music du temps du combat pour les Droits Civiques, et il partage avec la soul des racines religieuses, puisqu'il est permis d'y prier ("Serenity Prayer") et d'y prêcher ("Fighting").

Même si une ode à la weed y trouve sa place ("Goodie Bag"), Soul Food ne donne pas dans le rap outrancier et le matérialiste éhonté, mais bel et bien dans un hip-hop "conscient", soucieux de rendre compte de la vie dans la rue et dans le ghetto (l'admirable "Cell Therapy", "Sesame Street", "The Coming"), de questionner le système pénal ("Live at the O.M.N.I."), d'appeler à se battre ("Fighting") ou de rendre un vibrant hommage à une mère dévouée ("Guess Who").

Khujo, T-Mo, Big Gipp et surtout Cee-Lo, de sa voix éraillée si caractéristique, savent se fondre dans un flow agressif, mais pas que. Ils peuvent aussi se faire posés, et enchainer les passages chantés. Et puis bien sûr, il y a la production délicate d'Organized Noize, sophistiquée mais vintage, organique, avec cette couleur soul / funk réminiscente de l'illustre label Stax, toute en orgues chaleureuses ("Thought Process", "Sesame Street"), en percussions subtiles ("Live at the O.M.N.I."), en cordes ("I Didn’t Ask To Come") et en chœurs gospel ("Free", "Soul Food", le très mélodique "The Day After"). Ce qui se révèle ici, c'est une formule d'un faux calme, d'une paix lourde de menace, d'une perfection qu'elle atteindra encore sur l'ATLiens d'Outkast.

Alors non, cet album qui donnera son nom au rap sudiste avec "Dirty South", un autre de ses grands titres, ne ressemble pas aux styles exubérants que le terme désignera très bientôt. Il sera pourtant l'un de ses premiers chefs d'œuvre.

Acheter cet album