"J'ai bien peur que nous ne devions innover", déclarait Dose One sur "It's Them", l'un des titres les plus remarquables de Music for the Advancement of Hip Hop, la compilation manifeste du label Anticon, sortie en 1999. Et ce n'était pas un vain mot. La pochette à l'esthétique très heavy metal de leur premier album, une compilation de travaux conçus à la fin des années 90, donnait le ton. Il était évident que les futurs Themselves ne donneraient pas dans un rap habituel.
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A cette époque, Adam "Doseone" Drucker et Jeffrey "Jel" Logan (qui s'étaient liés quelques années plus tôt, via la radio de la Northwestern University, où le second travaillait), faisaient encore du rap. Les expériences n'étaient pas aussi extrêmes qu'avec le projet cLOUDDEAD. Ils n'avaient pas non plus tourné indie rock. Pas encore. Cela n'arriverait que quelques années plus tard, avec 13 & God, leur alliance avec les Allemands de The Notwist, puis avec le combo Subtle. Mais déjà, les deux compères s'employaient à pousser les vieux murs et les meubles encombrants qui embarrassaient le hip-hop, ils le confrontaient à des sons très inhabituels, ils lui faisaient subir des contorsions aussi acrobatiques qu'inédites.
D'abord, il y avait les raps de Dose, fantasques et obtus, une poésie abstraite déclamée avec la voix nasale d'un homme-enfant possédé, récitée sur un rythme virevoltant. S'ajoutait à cela le travail de Jel, parfois épaulé par Moodswing9, par J. Rawls et par les cuts de Mr. Dibbs. A l'aide de sa SP1200, le beatmaker s'émancipait de la dictature de la boucle, il multipliait les ruptures, les cassures et les ambiances, à l'avenant du flow et des paroles imprévisibles du rappeur.
Quelques unes des expériences tentées par les deux hommes faisaient long feu, certains titres tombaient à plat, comme "Lyrical Coungel", avec Sole et The Pedestrian. Mais d'autres, pourvu que l'auditeur ait les idées larges et les oreilles grandes ouvertes, frôlaient le jouissif, comme le mélancolique "Grass Skirt & Fruit Hart", le single "Joyful Toy of a 1001 Faces", très accrocheur avec ses lalalas éthérés et, plus particulièrement, le titre conclusif, un épique "It's Them".
Sur tout un disque, ceux qui s'appelaient encore Them (le nom Themselves, histoire d'éviter la confusion avec le vieux groupe de Van Morrison, ne viendrait qu'avec le second album, puis avec la réédition du premier en 2003) donnaient corps à la volonté affichée par Anticon avec les titres ronflants de ses compilations : ils oeuvraient à l'avancement du hip-hop, l'emportant avec succès vers des sphères qui lui étaient avant inconnues, insoupçonnées ou interdites.