"Craftsmen", ça veut dire artisans. Tel est le titre du dernier album sorti par les gens de Peanuts & Corn, mais ce pourrait être tout aussi bien celui de l’ensemble de leur catalogue, ou encore le nom même du label. Mcenroe et ses amis de Vancouver et Winnipeg, en effet, ne se sont jamais positionnés sur le créneau de l’artiste novateur et habité. Ils n’ont rien inventé. A la grande époque des labels indés de hip-hop blanc du gouffre, ces gens-là occupaient la frange classique et traditionaliste du genre. Mais ils ont toujours apporté à leurs disques le soin, l’attention, la finition et les paroles malines qui font la différence. Avant Peanuts & Corn, un bon disque de rap, c’était tout au plus deux ou trois titres qui tuent. Avec eux, un bon disque de rap, c’est d’abord un bon disque de rap. L’artisanat est leur fort, et il a du bon. La preuve, le label est devenu le seul en matière de rap dont chaque sortie peut s’acheter les yeux fermés.

PARK-LIKE SETTING - Craftsmen

Cependant, à force de soin, d’attention, de finition, bref, de perfectionnisme, les beats de mcenroe dérivent parfois vers une joliesse un peu creuse. C’est arrivé sur les albums précédents, par chance ponctuellement. Cela arrive aussi sur ce tout dernier disque, par malheur de façon plus systématique. Pour commenter cet album, inutile d’ergoter sans fin et de se perdre dans une inutile comparaison avec School Day 2 Garbage Day 4, l’un de ceux qui ont révélé le label. La continuité avec le premier Park-Like Setting n’est marquée que par cette jolie pochette pleine de crayons à papier qui prolonge le concept de l’école. Le line-up lui-même a changé, DJ Hunnicutt n’apparaissant plus et Yy ayant rejoint le duo originel formé par mcenroe et John Smith. Mais un disque P&C, c’est toujours un disque P&C, avec mcenroe à la production, des titres sur le plaisir d’être des copains et contre les maux de notre société qui va mal, et toujours les cinq ou six mêmes MCs dans des configurations légèrement différentes.

Pour commenter cet album, donc, pas la peine de remonter à l’an 2000. Il suffit juste de préciser que, cette fois, ça ne fonctionne pas. Rien n’est fondamentalement changé par rapport aux éditions précédentes, et pourtant, ça n’est pas bien. Le phrasé clair et détaché de John Smith en a pris un coup. Les boucles de mcenroe donnent l’impression de tourner à vide. C’est triste, mais à chaque plage de ce Craftsmen, il y a de quoi s'écrier "mais quand est-ce donc que ça s’arrête, passons tout de suite à la prochaine". On s’ennuie sur l’espèce d’ego-trip collectif de "Craftsmen", sur ce "Short Pants Long Sleeves" qui ressemble horriblement à un titre de rap normal plan-plan, sur cet "Eight Bars Each" interminable comme le sont presque toujours les posse cuts, sur l’académique "Bush League Psych-outs", sur ce "Barbie Doll Eyes" au thème pourtant plus original (une attaque contre la chirurgie esthétique). Bref, on s’ennuie partout.

Il y a bien un petit quelque chose qui fait mouche dans le flow "qui n’en veut" de Yy sur "DFA" (Don’t Fuck Around, si vous cherchez ce que cela signifie), ainsi que sur "Church of the Poisoned Mind", mais c’est parce qu’on a bien cherché. Ah, et puis, ouf, quand même, ô bonheur, ô béatitude, ô volupté, il y a le mélancolique "By My Lonesome". Le plus beau morceau à piano et violon depuis 10 ans. La production de mcenroe la plus brillante depuis "Wandering Eye" sur l'irréprochable Disenfranchised. Sans blague. Tout compte fait, il faudra veiller à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain malgré ce Craftsmen vilain comme tout. Tant que Peanuts & Corn sera capable de merveilles comme ça, moi j’achèterai. Mais peut-être plus jamais les yeux fermés.

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