Les Treacherous Four ne sont pas un vrai groupe et le rapport avec les Treacherous Three n'est qu'un clin d'œil. Les quatre lascars regroupés ce soir et sous ce nom au Point Ephémère sont Mike Ladd, Beans, Rob Sonic (de Sonic Sum) et Busdriver, soit l'une des plus belles brochettes de rappeurs indé que la France ait pu voir sur la même affiche.

Passer le premier et mettre en condition un public qui commence tout juste à prendre ses aises a toujours été une tâche ingrate. Et en ce jour, c'est Busdriver qui est de corvée. Le seul Californien de la soirée entre vite dans le vif du sujet. Il dégaine son emceeing de virtuose et rappe à toute allure. Dans les premiers rangs où se sont pressés quelques fans, ça fonctionne à peu près. Ca bouge, ça saute, ça pulse, ça chauffe. Détail ô combien insolite pour ce genre de concert, on assiste même à un début de baston ("incroyable, c'est un concert de NTM ici ?", s'interroge mon voisin, consterné).

Mais derrière, ça ne suit pas vraiment, ce qui semble perturber Busdriver. Le rappeur hésite, fait quelques faux départ, ne sait plus trop vers quel chemin s'orienter. Il parvient bien à donner un peu d'entrain à la salle le temps du tube "Imaginary Place" (une musique de Bach, forcément, c'est plus connu...), mais cela retombe assez vite. Et finalement, il doit se déchaîner sur "Gun Control" et sur une instru de Plaid pour retrouver un brin d'agitation et d'enthousiasme.

Rob Sonic, ses deux quintaux et un compère (Creature de la Atoms Family, vraisemblablement) suivent. Ils apportent avec eux la meilleure arme pour faire bouger une foule pas tout à fait décoincée : un show rap classique qui fonctionne, avec levage de bras et pique anti-Bush (trop tard monsieur, il a gagné le gros méchant). Je n'en dirais pas plus car, moyennement fan, j'ai passé le gros de la prestation à discuter devant les toilettes. Je sais, ce n'est pas très professionnel.

Dans un autre style que Busdriver, mais avec un talent comparable, Beans livre à son tour un numéro de rappeur virtuose. Mais l'ancien Antipop Consortium a deux atouts en poche qui font la différence avec son prédécesseur : un répertoire plus connu (il faut voir l'accueil favorable reçu par "Nude Paper") et une grande assurance. L'homme se meut en terrain conquis. De fait, une bonne partie de l'assistance semble venue pour le grand dégarni. Pour preuve, la densité de la foule et la moiteur de la salle à ce moment de la soirée.

Le spectacle s'achève avec Mike Ladd. Sans surprise, le bonhomme ne se contente pas d'un DJ ou d'une machine. Il a amené avec lui un vrai batteur qui tape sur les fûts et un multi-instrumentiste qui ressemble à son petit frère ou à un clone raté, le cheveu aussi hirsute mais le corps plus frêle, avec en sus barbe et lunettes. Et dès le départ, quelque chose cloche. Mike Ladd commence avec "Housewives At Play", le petit tube du dernier album, mais au lieu du timbre de fausset qui donne son petit air funky au titre original, le rappeur ou chanteur (on ne sait plus trop) prend la grosse voix.

Et cela tout du long. Les intonations multiples du Mike Ladd enregistré sont remplacées uniformément par une voix bourrue, agrémentée d'une gestuelle de star éculée et des facéties du multi-instrumentiste qui, monté un instant sur je-ne-sais-plus-quoi, s'improvise guitar hero. Le show entier passe dans cette moulinette, quels que soient le registre et les titres, tirés de la carrière solo du rappeur ou des épisodes Infesticons/Majesticons. En lieu et place du concert de rap déviant que nous attendions, nous avons droit à du rock-à-papa casse-bonbon. A un moment, mon voisin (un autre) me dit qu'avec ces cheveux frisés, ces muscles saillants et ce chant viril, on jurerait le Bruce Springsteen des mauvais moments, celui qui beugle. Bien vu. Mais à présent, il n'y a plus qu'à quitter avant terme cette soirée contrastée.