A priori, qui mieux que Gerald K. Barclay, alias Gee Bee, pouvait réaliser un film sur la saga du Wu-Tang Clan ? Compagnon de la première heure du collectif de Staten Island, concepteur de leurs premiers clips, peu ont suivi d'aussi près la longue histoire du plus grand groupe de rap des années 90. Nul autre ne pouvait sortir au grand jour ces images d’archives tournées vers 1992 et 93, quand les membres du Clan étaient encore de parfaits inconnus entassés dans un appartement sombre et sinistre, mais où, dans la plus pure tradition hip-hop, ils déclaraient fièrement qu'ils allaient conquérir le monde avec leurs rimes affutées.

GERALD BARCLAY - Wu: The Story of the Wu-Tang Clan

MPC Productions :: 2009 :: acheter ce DVD

Wu est le film qui manquait. Il regorge d'images rares (ce freestyle improvisé par un Ol' Dirty Bastard fin bourré, ces groupies possédées qui pleurent comme avec les Beatles 30 ans plus tôt), de témoignages précieux partagés par des proches, comme Popa Wu, l’aîné du Clan, ou Remedy, le premier Blanc affilié au collectif, et d’autres livrés par des acteurs clés du milieu hip-hop, parmi lesquels le DJ culte Bobbito Garcia, l’un des premiers à avoir remarqué le Clan, et le journaliste Bonz Malone qui, lui, confesse n’avoir rien compris aux concepts kung-fu du RZA, le jour où le génial producteur du groupe lui a fait part de ses nouveaux projets.

Servie par ces images et témoignages rares, la première partie du film est remarquable. Elle explique la genèse du groupe, montrant comment le RZA, échaudé par sa première expérience chez Tommy Boy, avait mûri un projet qui lui permettrait de mieux manœuvrer face à l’industrie du disque. Elle revient en détail sur toutes ces ruptures, toutes ces marques d’originalité qui ont distingué le groupe de ses prédécesseurs : ce rap à neuf voix capable de faire des hits en se passant de refrain ; cet effet de groupe qui permet d’imposer ses vues et d’impressionner ses interlocuteurs ; cette construction en cercles concentriques ; cette gestion parallèle de la carrière du groupe et de celles, solo, de chacun de ses membres ; et puis ces sons sortis de nulle part, ce hip-hop qui, sans rien renier du principe de la boucle, faisait preuve d’une musicalité encore inédite dans le genre.

Plus frustrante est, en revanche, la suite du film, qui commence après le succès du premier album et se prolonge jusqu’aux années 2000. Elle suit une structure classique, traitant du triomphe puis du déclin du Wu (embrouilles, jalousies, dope...), avant que le réalisateur n'appelle à un retour du Clan au meilleur de sa forme. Malheureusement, à partir du moment où l’on s’engage sur les années fastes et médiatiques du collectif, les événements s’enchainent, se multiplient, et à moins de vouloir faire 10 DVD au lieu d’un seul, des choix s'imposent. Aussi Gerald Barclay fait-il l’impasse sur de nombreux épisodes. La période la plus exaltante artistiquement, celle des premiers albums solo, est traitée en 30 secondes chrono. Et pour les années 2000, on ne parle plus que des frasques et de la mort d’ODB.

C'est là le principal reproche à faire à ce film, avec ces sous-titres français à l’orthographe très bancale (c’est sans doute à ce prix que ce documentaire a pu sortir en France avant les USA) et la quasi absence de témoignages des rappeurs du premier cercle : Wu raconte une histoire incomplète, parcellaire, rapide. Mais forcément, avec le Wu-Tang, on est tenté d’en vouloir toujours plus. Beaucoup ne sera jamais assez, avec le plus grand collectif de l’histoire du rap, avec le meilleur groupe toutes musiques confondues des années 90, et peut-être même d’au-delà.