A moins que cela n'ait déjà été fait, il faudra rendre un jour hommage à l'impact du skateboard sur la musique. L'un de ses bénéfices est d'avoir été un creuset, d'avoir facilité les rencontres entre genres. Dans les années 80 et 90, en effet, les adeptes américains de ce sport adoptaient pour bande-son, indistinctement, soit du rock punk et alternatif, soit du hip-hop. Chaque fois qu'on a réussi le mélange de ces genres, la "planche à roulettes" n'était pas bien loin, comme dans le cas du Check your Head des Beastie Boys, dont la pochette est de Glen E. Friedman, connu pour ses photographies dans le monde du skate (et pour avoir été l'auteur de celle de It Takes a Nation of Million…, aussi). Et c'est à travers la même pratique que s'est formé l'univers musical d'une figure moins illustre, mais qui lui aussi mérite l'attention, à savoir Astronautalis.

ASTRONAUTALIS - You and Yer Good Ideas

A l'heure où, en raison de comportements très répréhensibles, la carrière de ce dernier semble avoir du plomb dans l'aile (il a été accusé en 2020 d'abus sexuels, des actes qu'il a très vite admis…), il faut revenir à la source de toutes choses : You and Yer Good Ideas, un premier album sorti officiellement en 2005 (mais disponible dès 2003 ou 2004, selon les sources), bien avant que ce Floridien ne se relocalise à Minneapolis, puis à Brooklyn. C'est ici, dès alors, que s'affirme son style unique. Comme il fallait chercher des repères, sa musique inclassable est alors comparée à Beck. Mais Astronautalis a suivi un chemin inverse à celui de l'auteur de "Loser". Il n'est pas un rockeur alternatif qui a pioché quelques trucs sympas dans le hip-hop, mais au contraire un rappeur qui s'est pris de passion pour le rock, un peu à la manière de Buck 65 et des gens de la galaxie Anticon, auxquels il a été plus pertinemment assimilé.

La passion pour des groupes tels que Modest Mouse et les Halo Benders est perceptible chez Astronautalis. Enregistré en quelques jours en amateur, au fond de son appart', You and Yer Good Ideas use d'une instrumentation folk-rock minimal et lo-fi pour s'épancher sur un mode cryptique et vulnérable, contraire à l'égo-trip. Il use de guitares acoustiques, agrémentées à l'occasion de synthés chiches, comme sur le très beau "Gaston Ave", où il dit noyer sa détresse amoureuse dans le whisky. Ou parfois, c'est un piano qui joue ce rôle d'instrument sobre et triste, comme sur le somptueux "Oceanwalk", la pièce de résistance de l'album, et paraît-il la première chanson écrite pour lui par Astronautalis. Quelquefois aussi, ce dernier s'aventure sur des terres assez expérimentales, comme avec le déluge de percussions de "Hurricane Isabel", ou quand les paroles de trois narrateurs se chevauchent sur le final "Fourth of July".

Nous sommes loin du hip-hop avec ce type d'expéditions, surtout quand elles basculent plus franchement vers le chant, comme avec le refrain de "Baggage Claim", un autre temps fort avec ses sonorités orientales. Toutefois, il reste quelque chose du bagage hip-hop d'Astronautalis. Dans des morceaux plus franchement rap, comme le furieux et désespéré "Tightrope", mais aussi dans les autres, à travers son phrasé saccadé et son souffle contrôlé. Et on ne parle pas de son invocation de 2Pac, l'un des personnages du morceau "Somethin’ For The Kids", ni de ses histoires de mixtapes. Sa musique n'existerait pas sans sa formation hip-hop. Il n'aurait pas inventé cette formule qui aboutira la fois d'après à un album ambitieux et plus produit, The Mighty Ocean & Nine Dark Theaters, puis à d'autres tout aussi remarquables tels que This Is Our Science, mais qui était déjà parfaitement au point dès ce premier essai sorti en amateur.

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