Le Sud a quelque chose à dire. Cette phrase d'André 3000 est l'une des plus emblématiques de l'histoire du rap. Elle remonte à 1995, à une cérémonie de remise des prix du magazine The Source. Cette année-là, alors que la rivalité entre les Côte Est et Ouest battait son plein, c'est un duo venu du Sud, Outkast, qui avait été désigné comme groupe de l'année. Le public, choqué, avait alors copieusement hué les intéressés, avant que ne lui soit rétorquée la fameuse phrase.

POUYA - The South Got Something to Say

Si ce moment a une telle importance, c'est qu'il était prémonitoire. Ce sont en effet les états méridionaux qui, la décennie suivante, domineraient le rap. Ils définiraient le hip-hop du futur. André 3000, cependant, n'avait sans doute pas imaginé que ce même Sud ressemblerait un jour à Pouya.

On connait l'homme en question, un blanc d'origines cubaine et iranienne, de petite taille et les cheveux longs, qu'on imaginerait bien faire du metal ou du punk hardcore, plutôt que du rap. Et ce n'est pas qu'une question d'apparence.

Des constantes du rap sudistes demeurent chez Pouya, comme sur "Cruisin’ In The MIA", quand il célèbre les plaisirs de la vie et de la conduite en Cadillac sur un rythme funky. Toutefois ses pensées noires et ses saillies suicidaires, en phase avec cette génération Soundcloud à laquelle il est régulièrement associé, aurait davantage eu à voir avec Nirvana qu'avec les fiers-à-bras du rap, dix ou vingt ans plus tôt.

Qui plus est, sur ce troisième album officiel du Floridien, on s'éloigne encore plus des canons du hip-hop. Celui-ci, tout d'abord, se présente comme son grand disque accessible.

Quelques titres pêchus clôturent l'album, comme le sombre "Bulletproof Shower Cap", avec les braillards new-yorkais de City Morgue, ou l'ardu "Cyanide", avec Ghostemane, le compatriote floridien et collaborateur fréquent de Pouya. Sur l'un de ces morceaux plus rudes, "Six Speed", ce dernier s'offre même le luxe d'être accompagné par une légende du rap du Sud, l'une des plus influentes sur la jeune génération, Juicy J. Le rappeur rappelle aussi à quelle école de rap il appartient, quand il rend hommage à XXXTentacion et à Lil Peep, deux compères décédés, sur "When Will I See You?".

Ces titres, cependant, se révèlent être des exceptions. Le long de The South Got Something To Say, sur des morceaux tels que "I'm Alive", c'est très principalement sur des sons calmes et mélodieux que Pouya évoque son mal de vivre. Le Floridien sait rapper, il n'y a pas l'ombre d'un doute, mais ce sont avant tout des chants qu'il entonne dans ses refrains.

Avec l'aide du fidèle Mikey The Magician et de quelques autres, ce sont des sons organiques qu'il invoque pour dire son désespoir, pour s'entretenir de ses déboires amoureux ou pour avouer sa vulnérabilité, comme avec les guitares ou basses de "Five Six", "95", "Superman Is Dead", et d'autres titres encore. Sur le très beau "Mood Swing Misery", avec la musique nimbée et le refrain délicat de Rocci, on est même à deux doigts de la dream pop. On demeure dans les mêmes eaux sur "Run It Down" et "Talk to Me Before I Die", avec Cuco. Et le triste et néanmoins funky "Settle Down", avec le duo Midnight Rush, n'a que quelques secondes de rap.

Avec Pouya, le Sud ne ressemble à plus rien d'attendu. Mais c'est justement pour cela qu'il a encore quelque chose à dire.

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