En 2006, cela faisait déjà un moment que DJ Baku s'agitait dans le milieu hip-hop tokyoïte. Né en 1978, le jeune Nippon avait été converti au rap après avoir vu Juice, le film de 1992 avec 2Pac, suite à quoi il avait formé le groupe Hannya. Celui-ci n'avait pas vécu longtemps, mais le producteur et turntablist avait poursuivi son activité à travers son propre label, Dis-Defense Disc, et ses mixtapes, à commencer par Kaikoo with Scratch 1999. Il avait aussi produit des groupes, notamment MSC. Ce n'est cependant qu'au cœur des années 2000 qu'il a émergé, avec le DVD Kaikoo, un documentaire sur l'underground rap de Tokyo, et qu'il a tissé des liens à l'international. La même année, en 2005, il accompagnait en effet Dälek dans sa tournée japonaise, une collaboration qui aboutirait à un disque en commun quatre ans plus tard.
En 2006, DJ Baku tirait profit de cette notoriété en sortant un premier album officiel. Et celui-ci, Spinheddz, était très réussi, au point de bénéficier d'une distribution aux Etats-Unis deux ans plus tard. Purement instrumental, si l'on excepte le renfort d'une poignée de rappeurs sur trois titres bonus dispensables (Kan, Tav et Primal de MSC, ainsi que Rumi, l'ancienne comparse de Baku au sein de Hannya, et sa future épouse), il s'agissait d'une pure manifestation de turntablism, mais dans le bon sens du terme. Ce n'était pas simplement une démonstration de technique, ce n'était pas seulement une entreprise ludique, ce n'était pas un disque destiné à impressionner ses pairs DJs plutôt que le public, mais au contraire une œuvre réjouissante, festive, accrocheuse, voire même, avec ses nombreux sons de guitare, très rock'n'roll.
Comme l'annonçait sa pochette délirante et colorée, Spinheddz serait un joyeux carambolage de percussions déchainées, de notes concassées, de scratches endiablés, d'accélérations impromptues et d'improbables crescendos. Ce serait une longue farandole éclectique pleine de surprises. L'album dévoilait, au gré de ses multiples détours, des sons électroniques virevoltants ("Element for Perfect"), l'instrument traditionnel de quelque ethnie reculée ("Ei, o-Oh", "Spinstreet"), des bouts de chants découpés en tous sens ("Devil Approach"), des bruits de la vie courante ("Vandalism"), du beatboxing ("88 Experimental Beat Box"), des cuivres crépusculaires (le très DJ Shadow "God, Others, Substances") et les borborygmes rauques d'un chanteur de metal dénommé fort à propos Hevi ("Eat"). Et le plus beau, c'est que l'agencement de tout cela faisait sens, sur l'album véloce et relevé de ce DJ japonais dont l'excellence serait confirmée deux ans plus tard par un second opus de qualité très comparable, Dharma Dance.
PS : une fois encore, merci à l'ami Newton de m'avoir orienté vers DJ Baku, il y a fort longtemps.
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