En 2008, sort Pineapple Express (Délire Express en VF), une comédie américaine. Bien qu'il ne figure ni dans le film, ni dans sa BO, le morceau "Paper Planes" accompagne sa bande-annonce. Cela fait déjà un an qu'existe l'album dont il est issu, Kala, le deuxième pour M.I.A., et il a déjà bénéficié des égards de la critique. Mais tout à coup, à partir de l'été, ce titre se met à cartonner dans le monde entier. Bientôt, son succès est même décuplé par son apparition dans un autre film encore plus remarqué, Slumdog Millionnaire. Il est alors repris en concert par Rihanna et samplé sur le "Swagger Like Us" de T.I., Kanye West, Jay-Z et Lil Wayne, un titre que, enceinte jusqu'au cou, M.I.A. interprète avec eux sur la scène des Grammy Awards, en 2009. Bref, "Paper Planes" est l'apogée de la carrière de l'Anglaise d'origine srilankaise.

M.I.A. - Kala

Certes, avant cela, elle est loin d'être une inconnue. Mais cette fois, c'est le grand public qu'elle touche, et pas avec un titre anodin. "Paper Planes" a beau être porté par une jolie mélodie et en partie chanté par des enfants, les cliquetis d'arme et le bruit de tiroir-caisse qu'on y entend montrent qu'il n'y a pas que de la légèreté dans ce morceau. Ecrit par M.I.A. alors qu'elle peinait à obtenir un visa pour les Etats-Unis, ce titre sarcastique ironise sur la perception des immigrés par les Occidentaux. La Britannique, en effet, n'a pas changé d'agenda avec Kala. Ce dernier pousse encore plus loin la posture engagée étrennée sur l'album qui l'a précédé, Arular.

Cette fois, ce n'est plus son père, le rebelle et activiste tamoul Arul Pragasam, qui prête son nom à l'album, mais sa mère. Toutefois, le parti-pris politique est toujours bel et bien présent, malgré le passage de M.I.A. d'un label indépendant à une major du disque. Sur des notes disco scintillantes, l'accrocheur mais trompeur "Jimmy" nous emmène dans un tour du monde des génocides. "Hussel", avec le rappeur grime d'origine nigériane Afrikan Boy, adopte la perspective de l'immigrant contraint à la délinquance. "20 Dollar" se réfère au prix d'un AK-47 en Afrique. Et quelques mots, sur "World Town", réfutent la théorie du ruissellement.

Pour montrer sa fidélité à ce Tiers-Monde dont elle est elle-même originaire, M.I.A. offre un écho à la sono mondiale. Parce que son entrée aux Etats-Unis a été refusée, elle a enregistré le disque aux quatre coins du monde, à Trinité-et-Tobago, en Inde, en Jamaïque, en Australie et au Libéria, avec l'aide du producteur londonien Switch et de quelques autres. On entend donc, tour à tour, l'extrait d'un film tamoul sur "Bamboo Banger", des percussions de même origine sur "BirdFlu", la musique de Bollywood sur "Jimmy", un groupe d'enfants rappeurs aborigènes et du didgeridoo sur "Mango Pickle Down". Seul "XR2" nous ramène quelques instants en Occident, évoquant musicalement et thématiquement la grande époque des raves anglaises.

M.I.A. a beau avoir suscité l'intérêt du milieu rap (à l'origine, Kala aurait dû être produit par Timbaland, si l'Anglaise avait pu entrer aux Etats-Unis à temps), ce qu'elle livre, c'est un album de world music à l'heure du hip-hop, plutôt qu'un album de hip-hop en soi. Ses raps sont plutôt sommaires et monotones. Ils sont secondaires par rapport à sa musique et au sens des paroles. Les influences et les racines les plus profondes sont à chercher du côté de la scène punk et indie rock, chez cette femme entrée dans la musique par le biais de son amie Justine Frischmann, du groupe brit pop Elastica. C'est visible sur "Paper Planes", dont la mélodie est un sample du "Straight to Hell" de The Clash, mais aussi sur "Bamboo Banger", qui cite le "Roadrunner" des Modern Lovers, ou bien encore sur "20 Dollar", qui se réapproprie le refrain du "Where is my Mind?" des Pixies et qui malmène la mélodie du "Blue Monday" de New Order.

Kala n'en est pas moins en phase avec l'ère du rap. Ce n'est plus de la musique du monde gentille et folklorique. Ce n'est pas non plus un message revendicatif structuré et responsable. Au contraire, c'est fier et irrévérencieux. Dans la forme, M.I.A. partage avec le hip-hop la culture de l'emprunt, du collage et du détournement, comme le prouvent les références rock citées plus haut, ou encore la musique de "Jimmy", une réactualisation de "Jimmy Jimmy Jimmy Aaja", grand tube disco issu du cinéma indien qu'elle chantait dans son enfance (lui-même très inspiré du "T'es OK" du duo français Ottawan, pour la petite histoire). Le contenu aussi, est d'époque. Avant, jamais un porte-parole du Tiers-Monde n'aurait réclamé avec tant d'insolence sa part du gâteau. Jamais un titre comme "Paper Planes" où, usant de la même méthode que les rappeurs gangsta, M.I.A. assume les clichés plutôt que de les nier, n'aurait été possible.

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