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BILLY WOODS & KENNY SEGAL - Hiding Places

Albums rap

BILLY WOODS & KENNY SEGAL - Hiding Places

C'est un détail qu'on avait à peine remarqué l'an passé, au moment où avait été vanté Paraffin, le troisième album d'Armand Hammer. Produisant deux titres, figurait une vieille connaissance issue de l'underground californien : Kenny Segal. Si l'on était plus vigilant encore, on aurait noté que ce dernier avait participé aussi au projet d'avant, Rome.

BILLY WOODS & KENNY SEGAL - Hiding Places

C'est via Elucid que la connexion entre le duo new-yorkais et l'héritier de la vaste communauté Project Blowed s'est d'abord effectuée. Ils s'étaient côtoyés en 2015 sur l'album So The Flies Don't Come de Milo (enfin, milo…), que Kenny Segal avait produit. Mais après la collaboration de l'an dernier, c'est avec l'autre moitié d'Armand Hammer, Billy Woods (enfin, billy woods…) que s'est embarqué le Californien, et qu'il a livré l'un des meilleurs albums du début 2019.

Ce serait Kenny Segal qui aurait imposé à Billy Woods une sélection de ses beats. Mais à l'écoute de Hiding Places, on jurerait qu'il s'est passé tout le contraire. Ce qui domine ici, c'est le rap sombre et rude du New-yorkais, plutôt que le style plus ludique et facétieux par lequel le Californien s'est fait connaitre sur Ken Can Cook, il y a dix ans déjà. La seule touche angelena de l'album, c'est celle apportée au titre "Speak Gently" par Self Jupiter, ancien de Freestyle Fellowship, et partenaire de Kenny Segal au sein de The Kleenrz.

D'entrée, les guitares de "SpongeBob" donnent le ton : ce sera dissonant, discordant et déstabilisant. Bruitiste, minimaliste ("Steak Knives"), la musique sera faite de parasites et de voix trafiquées ("Bedtime"). Il y aura aussi des orages de guitare ("Spider Hole" et "Speak Gently"), des bifurcations impromptues ("Crawlspace"). Et le tout sera entrecoupé de faux calmes comme avec "Houthi", ou bien le chant fantomatique de Mothermary sur "A Day In A Week In A Year".

L'album parle d'argent, comme 95% du rap américain. Mais pas de celui qui coule à flot et qui vous file entre les doigts. Non, c'est de celui qui manque dont traite Billy Woods sur "A Day In A Week In A Year", ou quand il consulte son compte bancaire à la fin de "SpongeBob". Il reste fidèle à son milieu, celui des pauvres, lançant sur "Spider Hole" une pique à Nas et à ses escapades symphoniques au Carnegie Hall. Et ses paroles à lui, loin d'être inconséquentes, recourent à des références littéraires, voire géopolitiques.

Comme il se doit pour le fils d'un ancien membre du gouvernement zimbabwéen, on l'entend sur "SpongeBob" faire allusion aux fermiers blancs de son pays d'origine. Ou bien, sur le même morceau, il adopte la perspective d'un terroriste afghan. Avec ce rap politique (en plus d'être bruitiste et expérimental), Billy Woods se présente, comme une bonne portion de cette scène marginale et underground à laquelle il appartient, en lointain descendant de Public Enemy.

I got a letter from my insurer the other day, opened and read it, said the treatment wasn’t covered, turned to the family like 'I guess just forget it'.

J'ai reçu une lettre de mon assurance l'autre jour, je l'ai ouverte, je l'ai lue, elle disait que mon traitement ne serait plus couvert, je me suis tourné vers ma famille façon "on oublie tout ça".

Paraphrasant l'introduction mythique de "Black Steel In The Hour Of Chaos", ces mots issus de "bigfakelaugh" disent tout sur la relation entre le légendaire groupe de Chuck D et cet héritier tardif qu'est Billy Woods. Au bout du compte, c'est toujours le même rap qui est à l'œuvre, celui des déçus du monde et des gens qui admonestent, toutes viscères dehors. Mais ce rappeur-là délaisse la furie dénonciatrice et la fougue révolutionnaire. Il a abandonné les adresses à l'Amérique et à son gouvernement, pour se lancer dans la description défaitiste d'un quotidien morne ; ou bien, sur "Red Dust", jeter un regard blasé sur l'état du rap.

La rage et la colère sont encore là, mais souvent elles s'effacent derrière la dérision et un humour cryptique, comme quand, sur "Steak Knives", Billy Woods inverse les propos du "Elevators" d'Outkast, pour ironiser sur son statut d'artiste sans succès. Il ne se fait aucune illusion sur le monde, il préfère s'en tenir éloigné, comme il le dit sur le fielleux "Spider Hole". Misanthrope, ce rappeur qui ne dévoile jamais son visage cherche un lieu où se cacher, une "hiding place".

Billy Woods, au fond, se montre comme cette vieille baraque branlante qui orne la pochette. Il est le produit d'un rap vieux et désabusé, d'idéaux vieux et désabusés, d'une Amérique vieille et désabusée. Il est le rap adulte, mais dans le bon sens du terme : celui qui, après des années de macération dans la pénombre des caves, vieillit comme le bon vin. Un vin costaud à avaler, et à deux doigts de tourner au vinaigre, mais plus que jamais âpre, tannique et puissant.

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