De nos jours, Detroit est l'une des villes les plus actives sur le front du rap. Depuis un certain Eminem, elle peut aussi se targuer d'avoir livré à cette musique l'une de ses plus grandes stars. Mais avant, c'était une autre histoire. Active depuis les années 80, la scène locale a d'abord été ignorée. Et c'est précisément pour cette raison, qu'à cette époque, deux jeunes filles issues de cette scène avaient décidé de tenter leur chance ailleurs. Lichelle "Boss" Laws, la rappeuse, et Irene "Dee" Moore, son DJ, s'étaient alors relocalisées à Los Angeles. Le succès n'était pas venu tout de suite. Les deux partenaires avaient d'abord dû endurer des conditions de vie délicates dans le contexte hostile de South Central. Mais avec le temps, leur persévérance paya.

BOSS - Born Gangstaz

Boss attira l'attention de DJ Quik, tout juste couronné par le succès de Quik Is The Name. Par son biais, elle allait être invitée sur "Mai Sista Izza Bitch", un morceau d'AMG. Et par la suite, elle entrerait en contact avec Russell Simmons qui, intéressé par cette rappeuse timide en privé, mais pleine d'assurance un micro en main, l'accueillerait sur son label. Le nabab de Def Jam, en effet, cherchait à grappiller sa part de gâteau du rap californien, alors en plein essor, et il pensait qu'une rappeuse hardcore et gangsta pouvait devenir un concept porteur. Le futur lui donnera raison, dans le long terme, mais aussi plus rapidement, l'album de Boss, Born Gangstaz étant un succès, à l'échelle d'un rap féminin qui n'écoulait alors que peu de disques.

Conçu avec de grands noms de la production en majorité new-yorkais (Def Jef, Erik Sermon, MC Serch, Jam Master Jay), cet album n'en employait pas moins tous les détails de la recette californienne : toujours accompagnée par Dee (Boss était aussi le nom du duo), mais occupant le rôle principal (Dee rappe, mais nettement moins bien que sa comparse), la rappeuse paradait sur la pochette armes à la main, elle se montrait dure, menaçante et prompte à la violence. Elle jurait aussi comme un charretier, elle nous parlait de meurtres, elle prétendait abuser des joints et elle répétait ne rien avoir à foutre de rien ("I don't Give a Fuck").

Plus tard, certains reprocheront à Boss la gangster d'avoir été issue de la classe moyenne. Cependant, elle ne le cachait pas. Bien au contraire, en ouverture du disque, elle ironisait sur son éducation catholique et sur les cours de danse de son enfance. Et formellement, quoi qu'il en fut, elle cochait toutes les cases du rap de gangster. Elle le faisait si bien, que ça en devenait la limite de l'album. Celui-ci avait deux grands singles, "Deeper", une sorte de blues de la femme gangster, avec ragga et sample de Barry White en prime, et "Recipe of a Hoe", hymne féministe abrupt et fleuri. Toutefois le reste virait parfois à la formule : il ne révolutionnait en rien la recette ordinaire du gangsta rap, ni par les paroles, ni par ses sons véloces et funky.

Boss n'a pas apporté grand-chose à ce sous-genre, mais elle a été une étape dans l'évolution du rap féminin. Son style, notamment vestimentaire, était unisexe, pourtant elle inaugurait une nouvelle forme de fierté féminine en s'appropriant au profit des femmes les termes dépréciatifs de "bitch" et de "hoe". Elle inversait aussi la perspective en traitant les hommes avec le même mépris que ses congénères gangsta affichaient pour le beau sexe, insultant ces queutards décérébrés, incapables de rappeurs sexuels protégés ("Deeper"). D'autres femmes qu'elles, toutefois, devraient prendre la relève. Car après ce disque, Boss trouverait l'amour. Elle s'installerait au Texas et elle découvrirait les joies de la maternité. Elle lutterait aussi contre de graves problèmes de santé et subirait la greffe d'un rein. Confrontée à cela, et bientôt licenciée de Def Jam, elle ne trouverait plus guère le temps de poursuivre sa carrière.

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