Londres a la réputation d'être une ville cosmopolite, politiquement progressiste et très ouverte sur le monde. Depuis des décennies, elle est aussi connue pour ses scènes musicales éclectiques et très actives, à la pointe de toutes les tendances, et pour sa capacité à digérer avec aisance des influences venues d'ailleurs. Il était donc naturel que M.I.A. en provienne. Il était normal que cette artiste multicarte (elle a commencé dans le graphisme et le design avant de se mettre à la musique) soit à l'origine de cette formule unique, typique des très postmodernes années 2000, qui consistait à mêler en un tout cohérent des sons venus du monde entier.

M.I.A. - Arular

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Du fait de son identité, du fait de son parcours, Mathangi Arulpragasam était toute désignée pour défier toutes les catégories et toutes les étiquettes. Cette anglaise d'origine sri-lankaise rappe, plus ou moins, mais elle est apparue loin du hip-hop, dans l'ombre de Justine Frischmann, icône du mouvement brit pop, qui lui prêta son séquenceur Roland MC-505 et lui permit de faire ainsi ses premiers pas dans la musique. Et c'est par un fatras de sonorités world music et électroniques qu'elle s'est faite connaître, d'abord avec les singles "Galang" et "Sunshowers", puis, avec la mixtape Piracy Funds Terrorism, conçue en duo avec son futur compagnon Diplo, des sorties qui ouvrirent le chemin à un accueil critique très favorable.

Même si on y entendait des influences hip-hop, issues autant de la Côte Est que du très festif Sud, Arular n'était pas un disque de rap, à proprement parler. Il mélangeait ses sons à ceux de musiques cousines, issues comme lui de la rue et de la jeune génération. On y entendait du grime britannique avec l'électronique désossée de "Pull Up the People", du dancehall jamaïcain avec la rythmique de "Sunshowers" (la relecture d'un vieux morceau du projet disco Dr. Buzzard's Original Savannah Band), des traces de reggaeton portoricain sur "Bingo", et du baile funk brésilien avec "Bucky Done Gun" (très inspiré du "Injeção" de l'artiste de Rio Deize Tigrona). Et le tout était agencé de manière presque indissociable.

Tout cela semblait neuf, actuel, moderne. Et pourtant, il y avait eu un précédent vingt ans plus tôt, à Londres toujours, avec le Sandinista du Clash, une influence revendiquée par M.I.A., dont l'attitude revêche avait aussi quelque chose de punk. Comme cet album, Arular était éclectique et internationaliste, et surtout il était politique, voire polémique, avec son imagerie guérilla marquée, et des allusions à la guerre civile sri-lankaise. Le titre de l'album était lui-même le nom de guerre du père de la rappeuse, un ancien rebelle des Tigres Tamoul. Ce parti-pris martial était souligné par un vocabulaire parfois belliqueux ainsi, sur la pochette, que par des dessins de flingues et de tanks. M.I.A. prenait parti, elle était là pour défendre des causes, traitant par exemple de la prostitution infantile sur "10 Dollar".

Le discours progressiste, l'engagement politique et social, l'ouverture au monde, la volonté d'innovation, ont toujours été des valeurs prisées par la critique éduquée. Celle-ci a donc célébré Arular, sans doute même davantage que le public. Cet album a été, pour une grande part, un fantasme pour branchés, au point de leur faire oublier qu'il ne réalisait pas toujours le potentiel tubesque entrevu sur les premières sorties de M.I.A. Il n'en a pas moins été impactant, y compris auprès de la scène rap américaine, l'Anglaise ayant suscité l'intérêt de Kanye West ou de son idole Missy Elliott, autres innovateurs notoires aux idées larges. Un fait rare pour un univers, celui du rap, où les influences circulent le plus souvent à sens unique.