Pour retracer le long chemin qui a conduit la trap music à devenir, à travers ses divers avatars et mutations, le cœur du rap dans les années 2010, il faut revenir en arrière, vers la décennie précédente, vers les premiers succès de ceux que l'on considère le plus souvent comme ses pères fondateurs, T.I., Young Jeezy et Gucci Mane. Le premier popularise alors le nom de ce style, le dernier en devient l'incarnation ultime. Mais le plus décisif, pour quelques temps au moins, est sans doute le second. En 2005 Jay Jenkins (autrefois Lil J, alors Young Jeezy, et plus tard Jeezy tout court), est le rappeur qui permet à ce sous-genre régional de gagner en exposition, grâce à son premier album en major, le classique Let's Get It: Thug Motivation 101, et avant même cela, avec la sortie d'une mixtape essentielle dans l'histoire du rap, Trap or Die.

DJ DRAMA & YOUNG JEEZY - Trap or Die

Ce titre, ce n'est pas du chiqué. Jeezy le déclarera dix ans plus tard dans le magazine XXL : après une poignée d'albums sortis en indé, et alors qu'il vient de rejoindre Bad Boy Records avec le groupe Boyz n da Hood, le rappeur d'Atlanta enregistre cette mixtape avec hargne et engagement. Si elle est aussi puissante, dira-t-il, c'est qu'elle est alors sa dernière carte, son ultime chance d'être entendu avant une incarcération ou une mort violente qu'il estime inéluctables.

De sa voix abrasive, avec ces "yeah" trainards qui deviennent sa signature, avec ce qu'il faut d'invités, ni trop, ni trop peu (essentiellement ses protégés du collectif CTE, plus quelques grands comme Bun B), il montre qu'il a faim, se déclarant "le nègre le plus chaud en ville qui ne passe pas en radio", puisant son inspiration dans la vie à qui il dit adieu ("Miss Me With That Rap Shit"), celle de dealer de drogue.

Le thème n'est pas neuf dans le rap, loin de là. Mais Young Jeezy y apporte une âpreté nouvelle. Dès son "Intro", il proclame qu'il a vécu cette vie pour de bon, moquant les gangsters d'opérette qui se bousculent sur la scène rap, à grands coups d'artillerie marketing. Et il remet cela sur "U Ain't Perfect", s'acharnant sur ces rappeurs qui jouent aux gendarmes et aux voleurs comme s'ils étaient dans un cartoon, livrant en contraste des souvenirs concrets d'un vécu de petit trafiquant, de dispensateur de cocaïne, de "snowman" : le sien. Young Jeezy déclame cela avec conviction, n'hésitant pas à forcer sur les répétitions, sur les synthés criards propres à la trap music, lesquels décuplent le sentiment d'urgence.

Et pour parachever le tout, il y a le format choisi pour Trap or Die. Il s'agit alors encore d'une mixtape à l'ancienne, une compilation longue et disparate, faite d'instrus chapardées et de collaborations issues des œuvres d'autres rappeurs (All Star, le futur Starlito, avec "Grey Goose", et Gucci Mane, le rival des années à venir, avec "Icey"). Elle est émaillée de freestyles et d'interludes parlés. Elle est parcourue d'effets de DJ, retours en arrière, ou bien cris et slogans balancés ci et là.

Mais ces derniers sont employés avec une relative parcimonie, ils épargnent certains morceaux. Et le projet est rempli de titres originaux, d'une qualité telle que certains, "Trap or Die" et "Get Ya Mind Right", seront aussi sur l'album. Avec et après Trap or Die, peu à peu, on passe des mixtapes proprement dites, aux street albums du futur. Et cela, en partie, grâce au DJ alors méconnu avec qui Jeezy a agencé ce projet.

Car cette sortie ne se contente pas de mettre sur orbite l'un des grands noms du rap, ni de populariser le style trap d'Atlanta. Rien que cela aurait déjà été énorme. Mais elle a aussi le mérite de révéler DJ Drama, et de propulser sa très prolifique série Gangsta Grillz, la plus prestigieuse de ce qui sera souvent présenté comme l'âge d'or des mixtapes, à savoir les années mêmes que nous vivons encore. Bref, après Trap or Die, plus rien dans le rap ne sera jamais comme avant.

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