Toronto est une ville rap, et ça ne date pas d'hier. Dès les années 90, des artistes venus de là ont contribué à l'histoire du hip-hop. Il y eut le pionnier Maestro Fresh-Wes, les Dream Warriors, les DJs Sir Scratch et K-Cut de Main Source, ainsi, plus tard qu'une vague de rappeurs emmenés par Kardinal Offishall et Choclair, pas toujours très palpitants, mais qui ont représenté pour leur pays une vague underground alors en plein essor. Ce passé, cependant, n'a aucune mesure avec l'attention portée sur la ville depuis qu'en est issu l'une des plus grandes stars du rap contemporain : Drake. Grâce à lui, Toronto, répondant désormais au sobriquet "The Six", a gagné sa place. Ses rappeurs sont sous les feux des projecteurs.
L'un des derniers à avoir bénéficié de cet intérêt est Jazz Cartier. Celui-ci, néanmoins, a cherché à se distinguer de la figure tutélaire de sa ville, proclamant qu'il représentait Downtown Toronto, alors que Drake est d'Uptown. Et de fait, s'il parle à l'occasion de tourments internes et de problèmes relationnels, il présente un visage plus street que celui, très lisse, de l'autre.
C'est évident d'entrée, dès ce très froid "Guardian Angel" déclamé d'un seul tenant, sans pause et sans refrain. Lantz, son producteur attitré, a inventé le terme de "cinematic trap music" pour souligner sa spécificité. Mais si ce terme paraît adapté à quelques uns de ses titres, les deux hommes n'hésitant pas à recourir aux grosses basses, aux sons synthétiques qui tapent, et aux quasi chants sous Auto-Tune, des formules issues d'Atlanta, il ne suffit pas à qualifier toute la musique de Jazz Cartier (ou Jacuzzi La Fleur, pour employer son autre pseudo, très charmant).
Celle-ci est en fait très variée, passant de titres furieux ("The Downtown Cliché", "Holy Shit") à des chants rap mélodieux qui caressent dans le sens du poil ("New Religion", "Dead or Alive", "Wake Me Up When It's Over"), puis à des passages nimbés et contemplatifs lorgnant vers l'ambient ("Too Good to Be True", "Feel Something") et à quelques curiosités, comme cet inclassable "Switch", comme "Forever Ready/Band On A Bible", dont le début évoquerait presque Danny Brown, ou encore "Rose Quartz", bâti sur le titre homonyme de Toro y Moi.
Bien qu'impliqué dans le bouillonnement qui caractérise désormais la scène rap de sa ville, Jazz Cartier ne dévoile en fait aucun manifeste, sur cette mixtape qu'il aurait mis quatre ans à concocter. Sa musique n'est en rien l'émanation d'un style propre à Toronto. Elle est celle d'un citoyen du monde, qui a vécu aux Etats-Unis, au Koweït ou à la Barbade, avant de se faire un nom au Canada. Elle est celle d'un artiste singulier qui, au vu de ce Marauding In Paradise imparfait, disparate, mais riche, mérite toute sa place parmi les rappeurs qui comptent.
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