Vu la publicité faite autrefois, dans la petite sphère underground, sur le hip-hop audacieux et visionnaire d'Halifax, il est parfois étonnant de réaliser que ses albums pionniers n'étaient pas tous révolutionnaires. Comme l'ensemble du rap indé, celle-ci est restée un temps fidèle au boom bap new-yorkais du cœur des années 90. Ce n'est qu'après, avec les expérimentations des Sebutones, de Knowself et de Recyclone, qu'elle est passée à autre chose. Considéré comme l'un des petits classiques de cette ère, le premier album des Goods, le démontre encore aujourd'hui. Le duo fondé en 1996 par le producteur Gordon "Gordski" Campbell, un ancien du Hip Club Groove (groupe fondateur de la scène d'Halifax, où sévissaient déjà Sixtoo et DJ Moves), et par le rappeur Noah "Kunga219" Haspry, offraient un disque de son époque.

THE GOODS - The Goods

Quelques uns de ses beats, atypiques et bizarres, annonçaient la suite, comme celui, tribal, de "Annotative Annunciations", ce "Negative Prediction" qui imitait le vent, ou ce "Juxtaposition" qui lorgnait vers la drum'n'bass. Mais pour l'essentiel, c'étaient de bonnes vieilles boucles, avec des samples issus du répertoire afro-américain (jazz, soul, etc.), avec parfois des petits airs de Native Tongues ("Lonely Cowboy"). Calme et chaleureuse, soulignée de percussions qui sonnaient très live, et accompagnées de scratches et de virées en territoire turntablist, comme avec l'instrumental "No Envy", la musique, au bout du compte, ne dépaysait pas beaucoup.

Malgré cette particularité qu'est l'intérêt de Kunga219 pour la philosophie bouddhiste ("kunga" signifie "joyeux" en Tibétain), ce dernier n'était pas encore aussi aventureux que sur Tharpa's Transcript... A Time and a Place, son futur album solo Ses envies d'expérimentations ne filtraient qu'à travers "Escoteric Sorrow", où il récitait deux fois le même texte, avec un décalage dans la stéréo. Partout ailleurs, de sa voix grave, posée et indolente, il optait pour les registres privilégiés par les rappeurs de ces années-là, jouant sur les mots et sur leurs sonorités, donnant dans le storytelling, ou s'en prenant aux rappeurs d'opérette. Même Maxwell, présent à deux reprises (l'autre invité est Little T, futur Tachichi), était ici beaucoup plus retenu que le trublion qu'il deviendrait plus tard, sous le nom de Josh Martinez.

Carré, maîtrisé, et dépourvu des quelques tubes que compterait leur troisième album, un Dream Sequence très recommandable, le premier opus des Goods s'écoulait sans choc ni surprise. Mais il était sans défaut. Il apportait une preuve de la parfaite maîtrise des codes du rap par la scène d'Halifax, avant que certains de ses rappeurs ne s'amusent à les dynamiter.

Disque indisponible