On ne croyait pas si bien dire en affirmant que les mixtapes gratuites, distribuées aujourd'hui à foison par les rappeurs, étaient parfois supérieures à leurs disques commerciaux. Rick Ross l'a confirmé en tout début d'année, avec un Rich Forever qui devait nous mettre en appétit avant un nouvel album, God Forgives, I Don't (chouette titre, au passage), mais qui s'est avéré nettement supérieur à lui, au bout du compte. Certains ont même estimé que cette mixtape était le sommet du gros Floridien, son œuvre la plus aboutie.
Rich Forever, en vérité, n'a pas grand-chose d'une mixtape. C'est trop propre, trop bien produit, trop bien mixé, d'une qualité trop professionnelle. Question invités, c'est aussi le grand luxe. On trouve des stars établies comme Nas, Diddy, Pharrell, Drake, ou plus récentes comme 2 Chainz, French Montana et Future, sans oublier les chanteurs John Legend et Kelly Rowland, ni bien sûr Meek Mill, Wale et Stalley, les poulains de Rick Ross au sein de son label Maybach Music.
Enfin, à l'inverse de toutes ces sorties gratuites qui s'empilent à un rythme infernal sur Datpiff et autres plateformes, contrairement même à la majorité des albums de rap depuis toujours, cette mixtape est remarquablement homogène, sans grand déchet, en dépit de sa longue durée.
Oh, ça reste du Rick Ross. De sa voix grasse et chaude, il exploite sa veine habituelle, celle du m'as-tu-vu s'imaginant en baron de la drogue. Il met en scène un style de vie nouveau riche fantasmé. Il manifeste une passion exclusive pour l'argent mal acquis et ravale les femmes au rang de chair à saucisse. "I pay for that pussy, I go shopping for hoes" : classe.
C'est la posture habituelle, éclatante, matérialiste, immorale et insolente, mais dans son expression la plus aboutie, avec un Rick Ross qui n'a jamais dégagé autant d'allant, d'inspiration et d'assurance, et appuyé mieux que jamais par les beats de tueurs que lui ont concoctés une palanquée de producteurs, Lex Luger, J.U.S.T.I.C.E League et tant d'autres.
Considérations morales à part, presque tous les titres sont irréprochables, voire géniaux, comme ces rouleaux-compresseurs que sont "MMG Untouchable" avec son synthétiseur virevoltant, le conquérant "Yella Diamonds", l'atmosphérique "Triple Beam Dreams" avec un Nas en forme, l'instrumental façon film de fantôme de "Last Breath", l'enlevé "I Swear To God", le presque dissonant "King Of Diamonds".
Rien ici n'est en trop, pas même les roucoulements R&B de John Legend et les nappes emphatiques de "Rich Forever", ni les faux violons grossiers et le refrain en Auto-Tune d'un maître du genre, Future, sur "Ring Ring". C'est du lourd, c'est du grandiloquent, mais ça sied parfaitement au personnage incarné par Rick Ross : rude, intouchable, étincelant. Bien installé dans sa Maybach, là-haut, sur le toit du monde.