Le premier Freestyle Fellowship, To Whom It May Concern appartient sans conteste à la catégorie des albums cultes. Et comme tout bon album culte, ses débuts sont plutôt laborieux. En 1991, à l’heure où Los Angeles s’embrase au son du gangsta rap, Aceyalone, Mikah 9, P.E.A.C.E., Self Jupiter, J. Sumbi et M.D. Himself, des habitués de l'open mic du Good Life Café, semblent s'être trompés d’époque. Déroulés sur fond de jazz mutant, leur posture arty, leurs longues improvisations et leurs flows de folie paraissent bien éloignés des envies du moment.

FREESTYLE FELLOWSHIP - To Whom it May Concern

C’est donc en catimini, sur 500 cassettes et 300 vinyles, que sort un album dont l'édition CD ne verra le jour qu'en toute fin de décennie. Toutefois ceux qui découvriront le disque alors n'y verront que du feu. To Whom it May Concern, en effet, est intemporel. Il a incroyablement bien vieilli. Construit sur des bases jazz, saxo, piano et basses en tête, mais ne sonnant en rien comme le jazz rap qui sévira bientôt, il voit chaque MC se succéder et se défouler avec frénésie, sur un mode plus proche du freestyle que d'un rap millimétré. Pourtant, jamais l’album n'est inutilement bavard. Et chaque titre est en lui-même une œuvre à part, unique et singulière.

Les faux airs de mélopée africaine de "7th Seal", le langoureux "Sunshine Men", les chœurs et le saxophone de "Physical Form", habités par la voix chaude et grave de P.E.A.C.E., sont tous des titres d’anthologie. Même constat pour le piano jazz et rapide de "120 Seconds" et pour le futuriste et guerrier "We Will not Tolerate", qui dévoilent la face expérimentale de Freestyle Fellowship. Sans omettre le morceau de bravoure du sextet, le long, riche et complexe "5 O’Clock Follies", où Mikah 9 se livre à des observations politiques sur une basse bondissante et un orgue fou. Mais c'est plus tard encore que surgit le moment fort de l’album, quand, sur un poignant "For no Reason", P.E.A.C.E. met en scène un meurtrier s'interrogeant sur son acte.

Le succès fuira durablement la Freestyle Fellowship. Et pourtant, la suite sera passionnante : elle comprendra quelques autres albums dont le grand classique Innercity Griots, la riche carrière solo d’Aceyalone, celles plus discrètes de P.E.A.C.E. et Mikah 9, la création d'une école hip-hop à part avec le Project Blowed, le projet Haiku d’Etat, la canonisation par la scène underground en fin de la décennie. Autant d’épisodes, de chapitres de l’histoire du rap qui ne sont que la suite naturelle, la maturation, le développement du seul To Whom it May Concern.

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