Un vrai bon album de la part de 2Mex ? Jusqu'ici, ça a été l'Arlésienne. Dix ans qu'on l'attend, sans ne plus trop y croire. Pourtant, vu l'excellence au micro du rappeur latino, sur ses meilleures comme sur ses pires sorties, cela paraissait à portée de main. Il suffisait qu'il troque les vilains beats sans inspiration de ses projets récents pour quelque chose de plus habillé. Et ces vêtements sur mesure, à en juger par le prometteur The Patience, Ikey Owens semblait en mesure de les lui tailler. Sur les meilleurs titres du premier EP des Look Daggers, le claviériste de Mars Volta avait su accompagner avec succès le phrasé possédé du gros Mexicain sensible, satisfaisant ses vieilles inclinations rock. En conséquence, le premier album du duo a été l'un des disques indie rap les plus attendus de 2008.

LOOK DAGGERS - Suffer in Style

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Malheureusement, à l'instar du EP précurseur, Suffer in Style nous abandonne à la moitié du chemin. Côté positif, il y a cet équilibre recherché entre raps et musique. Moins bavard qu'à l'accoutumée, 2Mex interrompt souvent son flow intense pour laisser Owens s'exprimer sur de longues phases instrumentales et pour permettre au disque de respirer. On y retrouve aussi les meilleurs passages du Patience EP, comme ce "Before You Say No" à l'orgue suave et chaleureux. Enfin, 2Mex a eu la bonne idée de poursuivre de façon plus personnelle l'hommage aux groupes rock de sa jeunesse, des Talking Heads à Weezer, entamé sur son side-project Gloria was a Kroqer, étoffant par exemple sa relecture du "Beautiful Freek" d'Eels.

Mais en contrepoint, les titres les moins marquants du EP ("That Look", "Call you Later") se retrouvent eux aussi sur cet album. Et les instrumentaux d'Ikey Owens, loin d'alléger la musique de 2Mex, glissent dangereusement vers les écarts prog rock déjà constatés chez son groupe Mars Volta, vers des fignolages inutiles à l'exact opposé de la pop bruyante mais épurée de Weezer et d'Eels. Ici, le rappeur la met en sourdine, mais la musique remplace ses bavardages par les siens. Elle en fait trop ("Youth is Getting Restless"), multiplie inutilement les détails ("You're Not Talking to Me") ou se lance dans une surcharge d'orgue et de guitare digne des pires dinosaures rock des 70's (l'intro indigeste de "Shades of Orange"). Le comble sur ce disque qui devait être le plus musical jamais sorti par 2Mex, c'est que les MCs nous manquent, sauf quand l'un d'entre eux, à savoir l'impeccable Existereo, vient accompagner avantageusement notre latino préféré sur "Valiant".

Les meilleurs passages sont dans l'ensemble des resucées de vieux titres de 2Mex, que vrais instruments et ambiance live dégradent plus qu'ils n'enrichissent. Ainsi de la nouvelle version de "Shades of Orange", pas aussi marquante que celle qui figurait, il y a huit ans déjà, sur le Soulmates de Nobody, et de "Falcon Gentle", l'un des meilleurs titres du médiocre album éponyme de 2Mex. Curieusement, et toutes proportions gardées, tout cela rappelle la sortie 30 ans trop tard du Smile des Beach Boys, sous le seul nom de Brian Wilson. Cet album tardif s'était montré pas mal. Pourtant, ce n'était pas le Grand Soir, ni la jouissance tant espérée. Smile, c'était le plus grand fantasme du rock, et les fantasmes, c'est fait pour ne jamais être réalisés. Et bien cet album de 2Mex, le plus chiadé qu'il n'ait jamais sorti, c'est un peu pareil. Au bout du compte, ce Suffer in Style fade donne surtout envie de ressortir les vieux disques du rappeur, ceux de ses groupes The Mind Clouders et Of Mexican Descent, ou le très imparfait B-Boys in Occupied Mexico.