Le Japon est le pays des groupies, celui où les artistes indés vendent 10 fois plus qu’ailleurs et sont placés en tête de gondole dans les grandes surfaces, celui où tous les disques du monde sont disponibles, en édition de luxe et avec des tas d’inédits en bonus. Mais c’est aussi un endroit où la musique est vécue selon d’autres préceptes et d’autres affinités qu’ici. Tenez, par exemple, quand les rappeurs occidentaux se mettent à la musique électronique, ils optent soit pour les beats criards et tape-à-l’œil qui vont bien avec leur personnalité extravertie, soit, plus récemment, pour de l’IDM de poche, pour des blips et pour des compositions tarabiscotés.
Mais chez Ill-Bosstino, rien de tout ça. Quand ce n’est pas dans le dub, le projet parallèle que le rappeur de Tha Blue Herb mène aux côtés de Wataru Nakamichi donne dans la house. Et attention, même pas la house dansante et clinquante qui a mis le feu aux dancefloor de Chicago il y a 20 ans de cela. Non, pas du tout. Herbest Moon donne dans la house de chambre, dans la deep house. Avec rien de moins que François Kevorkian dans les coulisses.
La sincérité de la démarche ne pose pas plus de doute sur ce projet que chez Tha Blue Herb. Inspiré autant par ses longues nuits passées sur les pistes de danse que par les raps de Nas, Ill-Boss a mis le même soin à réaliser Something We Realized qu’à écrire les paroles hallucinées de ses titres hip-hop. Mais quand même. Le doux piano doucereux de "Entrance" donne la fâcheuse impression d’entrer de plain pied dans le Buddha Bar. Et il faut avoir beaucoup de patience ou être sacrement versé dans le genre pour prendre du plaisir avec les percussions interminables de "Blow Your Body". Tout aussi long, l’onirique "Between You Baby & Me", son fond ambiant et ses susurrements en japonais, dégagent à la longue quelques charmes, tout comme les groovy "Ghost Bass" et "Galaxy", mais au prix d’une grande persévérance.
Le hip-hop fait son apparition, toutefois. Il se montre sur les beats old school de "Horse Song" ou via les raps de "We Love the Silver Moonlight". Mais sur l’ensemble du disque, nous sommes dans un monde tout autre que celui du rap dur de Tha Blue Herb, un monde qui demande un long temps d’acclimatation, un monde d’où seront impitoyablement exclus tous ceux qui, à raison dans l’ensemble, sont allergiques à la deep house. Sauf s’ils commencent directement par la nappe de synthé, l'accordéon nostalgique et le joli rythme reggae du beau "They Dance Alone" sorti peu avant en maxi, peut-être le seul titre vendeur de ce disque déconcertant.
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