Rawkus :: 2000 :: acheter ce disque

Il n’est dorénavant plus nécessaire de nous voiler la face : Rawkus ne nous intéresse plus. A force de projets douteux, le label qui avait jusqu’ici su tirer son épingle du jeu complexe du rap indé a enfin dévoilé son véritable visage : celui de l’opportuniste, prompt à rejoindre gaillardement l’intelligentsia rap sclérosée, autrefois honnie. Train of Thought, l’une de ses dernières sorties, mérite toutefois l’attention, parce que la plupart des singles sortis jusqu’ici par ses auteurs, le duo Reflection Eternal, ainsi que l’aventure Black Star lancée par son MC en compagnie de Mos Def, avaient donné quelques beaux résultats. Talib Kweli et Hi-Tek, son DJ, font en effet partie des très rares tenants du conscious rap à ne pas trop sombrer dans les clichés inutilement misérabilistes de circonstance.

La première surprise de Train of Thought en est incontestablement le tracklisting. A l’instar de Mos Def sur son premier album, Reflection Eternal s’est refusé à recycler ses singles précédents, notamment le brillant "Fortified Love", ce qui peut être, version optimiste, le signe d’une grande assurance, ou alors, version pessimiste, d’un changement douteux de direction. Manque de chance, c’est la deuxième option qui se confirme sur les premiers morceaux, notamment dès les cuivres pénibles de "Move Somethin'", titre racoleur, punchy sans être racé, qui apparaît d’emblée pour flatter le tout-venant. Nul. Même chose, en à peine mieux, pour "Some Kind of Wondeful", "The Blast" et un "This Means You" lassant et désincarné, à peine sauvé par la voix chaude de Mos Def.

En fait, il faut attendre "Too Late" (en voilà, un titre bien nommé...) pour que l’album passe enfin à la vitesse supérieure et que l’on assiste, ô joie, à une démonstration de grand, de très grand Reflection Eternal. Les superbes voix de cette première pépite remettent immédiatement les pendules à l’heure et rappellent que le duo sait parfois approcher le divin. La suite est tout aussi grandiose. En premier lieu, les congas et les trompettes noires d’un "African Dream" comparable au "Time Travellin'" de Common, puis le hitesque et saillant "Down for the Count" où Talib Kweli, accompagné par X-Zibit et Rah Diggah, est servi à merveille par une composition aux airs de tango concoctée par Hi-Tek.

"Down for the Count" fait partie avec "Eternalists", autre réussite up-tempo, des quelques morceaux de l’album qui prouvent que Reflection Eternal sait s’émanciper de sa formule lente et grave. Mais bien sûr, ce sont les ingrédients traditionnels du rap conscient qui ont le dessus : africanisme et tribut au long passé soul des musiques noires, présents sur ce "Love Language" accompagné des Nubians (curieuses représentantes d’un esprit black à la française, très populaires Outre-Atlantique) et sur "Name of the Game", auxquels il ne manque pas grand chose pour être de vraiment bons morceaux, ainsi que sur le très réussi "Touch You".

Train of Thought est donc loin d'être un disque parfait. Quelques options limite racolage gâtent l’ensemble, comme la présence du catastrophique "Move Somethin'" en première position, et quelques morceaux médiocres éparpillés ailleurs. Mais même si Hi-Tek, irrégulier, varie prodiges et moments de faiblesse, Talib Kweli confirme en permanence qu’il est un des MC’s les plus notables de ces dernières années. Ses textes, certes assez convenus, mais mûrs et habiles, dévoués à la bonne cause (promouvoir une vision optimiste de la vie sur "Good Mourning", combattre la misogynie sur l’excellent ‘For Women’), demeurent, comme sur Black Star, l’élément central, l’ossature de l’album. Le hip hop conscient y atteint souvent ses sommets, son aboutissement. Mais maintenant, Mr. Kweli, il est peut-être temps de passer à autre chose.