Ca sentait mauvais. Trois longues années blanches, au lieu du chef d'œuvre tous les deux ans auquel le duo nous avait habitués depuis 1994. Plus grand chose après un Stankonia apocalyptique où le groupe semblait avoir lâché d'un coup d'un seul toutes ses idées, toute son inspiration. Un best-of et un album de la Dungeon Family en guise d'amuse-gueules et de bouche-trous. Des rumeurs de séparation...

OUTKAST - Speakerboxxx / The Love Below

Tout indiquait que le nouvel Outkast ne serait pas à la hauteur des précédents, qu'il serait en retrait, qu'il serait l'album d'après l'orgasme. Et puis non. Même pas. Au bout du compte, ce sont plus de deux heures de musique que nous offrent Big Boi et André 3000, rien de moins, comme pour se faire pardonner cette attente plus longue qu'à l'accoutumée. Ce sont deux disques bien remplis. Et quels disques !

La survie du duo ne tenait plus qu'à un fil, André 3000 entretenant de longue date des envies d'échappée solitaire. Qu'à cela ne tienne. Les deux rappeurs ont trouvé un juste compromis, et nous sont revenus avec deux albums solo.

Sur le premier, Speakerboxxx, Big Boi déploie seul son personnage de player. Il frime, il la ramène, il nous parle de filles, de Cadillacs, de fringues et de godasses, parfois de choses plus sérieuses comme la guerre, le péché ou la solitude, et il s'est entouré de l'équipe adéquate (Ludacris, Jay-Z, des compères d'Atlanta). La musique est la plus rap des deux disques, mais avec les petits plus rock et funk qui n'ont cessé de distinguer Outkast, avec en sus l'efficacité et les accents électroniques qui ont fait le triomphe de Stankonia. Les séquelles de cet album sont nombreuses sur Speakerboxxx, parfois même flagrantes comme sur la tuerie "Ghetto Musick" (produite par qu'André), et cela est pour le mieux.

Sur The Love Below, l'exalté, le fantasque et l'encore plus audacieux qu'André 3000 concrétise sa vieille idée, celle d'un album totalement dédié au thème de l'amour. L'amour sous toutes ses formes, sous vraiment toutes ses formes, les crues, les touchantes ou les fleur bleue, tant tout cela est indissociable. Avec Dré, Dieu est une femme, Dracula se marie et les branleurs machos du rap invités par son comparse cèdent la place aux dames, Kelis et Norah Jones en tête. Le rappeur (ou chanteur ? interprète ? storyteller ?) va jusqu'à nous livrer une longue tirade autobiographique sur ses déceptions amoureuses et un bilan de sa relation avec Erykah Badu.

Le thème de l'album reste le même, mais les beats, eux, partent dans tous les sens. Ce n'est évidemment plus du hip-hop, mais ce n'est plus non plus le cocktail auquel Outkast nous avait habitués. C'est au-delà encore, c'est cent fois plus. Un demi-siècle de musique populaire se concentre et s'amalgame sur l'heure vingt de The Love Below. S'y entremêlent rap, soul, funk, rock, électronique, folk, pop dans tous les sens du terme, et bien plus, avec même de l'ambient music, du free jazz et une reprise jungle de "My Favorite Things".

Speakerboxxx et The Love Below, c'est d'un côté du Big Boi, de l'autre du Dré, ce sont deux disques différents, deux mondes distincts. Et pourtant, c'est toujours du Outkast. C'est toujours ce compromis idéal entre musiques blanches, escapades électroniques et vieilles branches rap, soul, funk, jazz. C'est toujours cette synthèse inespérée entre audaces formelles et formules accrocheuses. C'est toujours du très bon, de l'exceptionnel. Stankonia n'avait pas épuisé le filon.

Derrière se préparaient des "Ghetto Musick", "Unhappy", "Bust", "War", "Flip Flop Rock", "Reset", "Spread", "She Lives in my Lap", "Hey Ya!", "Roses", "Behold a Lady" et "Dracula's Wedding". Après le succès phénoménal de cet album nous attendaient deux autres d'un même acabit, aux temps morts rares compte-tenu de leur longueur exceptionnelle, sans culs-de-sac ni complaisance malgré l'ambition des deux projets. Au bout de dix ans de carrière, la sortie d'un nouvel Outkast demeure un événement. Plus que jamais.

Outkast : hors caste, hors du rap, hors du temps.

Intouchable.

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