C'est systématique. C'est en retard, toujours, qu'une œuvre est reconnue à sa juste mesure. Celle de Young Thug ne déroge pas à la règle. Son pic de créativité est survenu entre les années 2013 à 2015, mais c'est après, dans la période postérieure à Barter 6, qu'il est célébré comme un rappeur capital. De même, c'est maintenant seulement qu'on reconnait qu'il a perdu de sa superbe, alors même que son déclin date.
Alors qu'il est en prison après l'affaire qui y a entrainé toute sa bande, alors que son nouvel album ne peut plus espérer le succès du précédent, démarré numéro 1 au Billboard (bon, il a été numéro 2 tout de même...), la critique tire sur l'ambulance. Alors qu'en vérité, Business Is Business, n'est pas pire que Punk. Il se pourrait même qu'il lui soit très supérieur.
Certes, il est composé de titres d'intérêts disparates, dénichés parmi tout ce qu'il a produit avant son incarcération. On y trouve des morceaux qui ont déjà leaké, comme "Gucci Grocery Bag", et des beats entendus ailleurs, comme celui de Wheezy sur "Cars Bring Me Out", employé à l'identique sur le "Exclusive" de Drakeo the Ruler. Et en guise de cache-misère, se bousculent ici les plus grandes stars du rap (les habituels Drake, Future, 21 Savage, Travis Scott et Lil Uzi Vert).
Every album got no skippin'
Sur chaque album rien à zapper
C'est ce que Young Thug prétend sur "Wit Da Racks". Cependant, cela n'a jamais été vrai. Rarement ses albums ont été parfaits, et surtout pas les derniers. Aussi Business Is Business soutient-il la comparaison, d'autant plus que Metro Boomin (qui par ailleurs a séquencé les titres de manière plus cohérente qu'à l'origine, sur une version alternative de l'album) a pris à coeur sa fonction de producteur exécutif.
Les affaires sont les affaires. Et quand on en fait, il faut savoir tourner une situation délicate à son avantage. Aussi l'album fait-il écho à l'actualité de son auteur : son incarcération. A travers cette pochette où Young Thug apparait dans un tribunal, mais aussi sur quelques morceaux. Sur le finale mollasson de "Global Access", le chanteur Nate Ruess critique l'usage à charge des paroles du rappeur au cours de son procès. Sur "Parade On Cleveland", Drake imagine son retour triomphal dans son quartier d'origine. Et puis, pour continuer à évoquer des malheurs récents, Lil Gotit rappelle le décès de son frère Lil Keed, sur le fantastique "Hoodie".
Cet album s'inscrit dans un temps particulier, mais le principal intéressé, lui, fait son numéro de toujours. Ses morceaux ayant été vraisemblablement enregistrés avant, Young Thug préfère parler de son sac Gucci ("Gucci Grocery Bag") et de ses bagnoles ("Cars Bring Me Out"), jouer au grand méchant sur un sample de Carmina Burana ("Uncle Murda"), vanter sa réussite ("Oh U Went") et partager son chagrin d'amour sur le joli "Went Thru It". Fidèle à lui-même, il change de timbre et de ton à loisir. Il s'adonne à une gymnastique verbale fantaisiste, comme sur ce "Money On The Dresser" fâcheusement desservi par une production sans imagination.
La mandoline de "Cars Bring Me Out" réussit autant à Future et à Young Thug (qui y prend une voix presque normale), qu'à Drakeo par le passé. Quand ce grand chien fou explore son esprit tourmenté sur "Want Me Dead", la musique délicate et l'intervention de 21 Savage sont à point. Sur "Wit Da Racks", une réunion au sommet avec le même 21 Savage, Travis Scott et Yak Gotti, il est prodigieux quand il partage ses envies délirantes d'argent, de luxe et de sexe. L'égo-trip "Mad Dog" et la complainte " Jonesboro "sont superbement produits par Metro Boomin. Et sur une jolie mélodie délivrée avec l'aide de London On Da Track, "Abracadabra" rappelle les moments les plus hallucinés du rappeur.
Business Is Business, c'est du Young Thug tardif. Tout n'y est pas fameux. Cependant, l'essentiel est là. C'est même, n'en déplaise à ceux qui n'ont jamais rien compris à temps, son meilleur album depuis longtemps. En 2023, il y a une autre raison que ses déboires judiciaires pour, une fois encore, fixer les regards sur le rappeur le plus allumé d'Atlanta.
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