Soyons clairs, Slowthai a toujours été un punk. Un punk avec les habits de son temps, ceux du rap. Mais un punk, avec l'irrespect, l'ironie, l'agressivité et les paroles caustiques qui conviennent. Avec cette façon paradoxale de vomir sur son pays, la Grande-Bretagne, et de le représenter fièrement tout à la fois. Et avec ce troisième opus, c'est plus visible que jamais. Ici, avec l'appui du producteur Dan Carey, Tyron Frampton a pris très ouvertement le chemin du rock. Ici, il déploie les chants plaintifs, les hurlements de possédé, les guitares mordantes et les batteries furieuses de circonstance.
Tout cela n'est pas tout à fait inédit. Le rappeur de Northampton usait déjà de la furie des guitares sur "Doorman", un des titres qui l'ont révélé. Et plus récemment on l'a vu côtoyer Damon Albarn sur le single de Gorillaz, "Momentary Bliss". Mais cette fois, il met les bouchées doubles. Si Slowthai n'était pas connu comme rappeur, on cataloguerait "indie rock" la majorité des titres de l'album, instantanément.
Le rappeur dégaine un rythme post-punk sur "Selfish". Il recourt à la guitare acoustique triste de Ethan P. Flynn au début de "Never Again", et à une autre, distordue par endroits, sur "Happy". Il copine avec les Irlandais de Fontaines D.C. sur le morceau homonyme de l'album, un "UGLY" délivré dans un style shoegaze. "Falling" évoque les Pixies. "Wotz Funny" rappelle le "I Wanna Be Your Dog" des Stooges. Et "Tourniquet" ressemble à une ballade perdue de Radiohead.
A cela s'ajoutent les musiques électroniques les plus noires et les plus tordues, celles que l'on entend sur "Yum". Lesquelles, jointes aux rémanences hip-hop, évoquent les cyberpunks techno de Prodigy plutôt que les punks originels.
UGLY signifie "U Gotta Love Yourself" : tu dois t'aimer. Poursuivant le tournant introspectif de l'album précédent, TYRON, continuant cette plongée intérieure annoncée par le single "Selfish", celui-ci reprend donc ce qui est un thème récurrent chez Slowthai : le dégoût de soi, et la nécessité difficile de le surmonter. Chez lui, tout cela est si profond, c'est tellement viscéral que, comme le montre la pochette, il s'est fait tatouer ce mot sur la joue, tout près de son nez balafré.
Slowthai n'a pas une bonne image de lui-même. Il cherche la motivation en répétant comme un mantra qu'il est un génie, ou en s'assommant de drogues, d'alcool et de sexe ("Yum"). Il veut se convaincre qu'il se sent bien, mais tout cela semble ironique ("Feel Good"), et son "Happy" à lui est moins joyeux que celui de Pharrell. Sur "Fuck It Puppet", le moment le plus rap de l'album, il dialogue, désespéré, avec le mauvais génie dans sa tête. Sur "Falling", il se sent partir à l'abandon. Et bien sûr, au centre du dispensable "25% Club" comme ailleurs sur l'album, il y a de gros chagrins d'amour.
Cependant, même s'il parle de lui, Tyron n'oublie pas les autres, les petites gens, ceux qui sont coincés au pied de l'échelle sociale et dont il est le représentant depuis son premier album. UGLY parle de ces déshérités à travers des témoignages et des extraits de vie. Le morceau éponyme, par exemple, parle des normes de la beauté, celles qui font des défavorisés des gens moches. "Wotz Funny" traite des aléas de la pauvreté, par exemple une mère réduite à la prostitution. Quant au titre "Never Again", il parle de la rencontre de Slowthai avec une ex plongée dans la drogue, mariée à un rustre, et qui décédera bientôt sous les coups de ce dernier.
Ces gens sont comme lui. On leur a appris très tôt à se détester, à s'autodétruire et à se trouver laids, altérant un peu plus leur confiance, compromettant leur éventuelle ascension sociale. Ils sont les éternels damnés de la terre anglaise, ceux-là mêmes qui ont souvent trouvé leurs représentants et leur échappatoire dans la meilleure musique britannique, qu'elle soit du vieux rock social, ou bien le rap de Slowthai.