Sameer Ahmad poursuit sa route. Depuis le succès critique de Perdants magnifiques, il construit une véritable œuvre. Le dernier volet de celle-ci est un petit EP de seize minutes destiné à être la première moitié d'un album à venir, et qui confirme à nouveau le bien qu'on pense du Montpelliérain.

SAMEER AHMAD - Tracy 168

Sameer Ahmad frappe fort d'entrée avec "NMJS" (pour "Ne mourez jamais seul"), un morceau typique de son art. Sur une jolie musique aérienne surmontée par les refrains évaporés de LK de l'Hôtel Moscou, ce compagnon de label et d'état d'esprit, le rappeur déroule des souvenirs de jeunesse sans autres liens que les associations d'idées et d'assonances, sans autre logique que les correspondances sonores ou sémantiques entre les mots et références qu'il place ensemble.

C'est un grand carambolage de réminiscences où toutes les cultures se croisent, la savante et la populaire ("Les couv' de Radikal remplaçaient Gallimard", je fais comme un Tolstoï sur du Scott Storch"), celle des parents et celle de sa génération ("Mum écoutait Dalida, j'écoutais Dany Dan"). Il aime jouer avec les sonorités, c'est flagrant dès les premiers vers de "Chibani", mais avec une impression de naturel, sans le travail forcé sur le langage de ceux qui se prétendent poètes, et avec les bons mots bien trouvés des meilleurs rappeurs, par exemple "premier sur l'indé comme Haïti", sur "Santeria".

Il y a longtemps, Sameer Ahmad a découvert le secret des œuvres réussies : ne pas suivre les normes édictées par d'autres, ne pas courir après ce qu'ils attendent, mais parler de soi. De cette manière, on ne se trompe jamais vraiment.

Ce qu'on découvre donc, tout au long de l'EP, c'est son monde, c'est son expérience à lui. C'est un univers culturel fait de rap, de cinéma, de littérature, de télévision, lequel est assez large pour que certains propos soient décryptés avec délice et sans effort pour tout amateur de rap qui se respecte ("c'est thug, c'est harmonique, et ça du cerveau jusqu'à l'os", sur Chibani ; "je pense que le monde de demain c'est loin", sur "DMX"), alors que d'autres paraissent plus obtus. Jusqu'à ce que, parce que nous avons découvert entretemps l'une de ses références, ils s'illuminent à la prochaine écoute.

On y trouve aussi ses impressions, ses sentiments, comme avec "Mars", le grand morceau mélancolique de cet EP. Ce sont des témoignages sur son quotidien de musicien ("En classe éco, un train de vie d'artiste", sur "DMX"), ou bien, sur "Santeria", sur son statut de métis culturel, ou encore, sur "Chibani", sur celui de jeune vieux (ou de vieux jeune).

Et puis, tout prof qu'il ait été, Sameer Ahmad sait que le rap est musique. Et c'est à cela que tendent ses beats sans âge, sans style trop défini : à sonner bien, tout comme les mots, à amplifier ses évocations erratiques. Ils offrent tant de satisfaction qu'à l'écoute de Tracy 168, une seule chose nous importe : découvrir la seconde moitié de ce nouvel album.

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