Dans son livre My Infamous Life, Prodigy confie avoir souvent été présenté comme le meilleur rappeur de Mobb Deep. Bon prince envers Havoc, il prétend penser tout le contraire, mais il explique que ces éloges l'ont encouragé à tenter l'aventure en solo, après quatre albums sortis en duo, dont trois de première classe. En 2000, sort donc H.N.I.C. (pour "head nigga in charge", le surnom donné à sa grand-mère, une femme haute en couleur), un semi-classique pour certains, et un chef d'œuvre selon les fans les plus acharnés.

PRODIGY - H.N.I.C.

On comprend vite pourquoi les adeptes de Mobb Deep adorent : ce solo ne les prend pas à revers, il est exactement l'exercice attendu. Le rappeur lui-même le dit sans ambages, dès le premier titre : "this is what y'all be waitin' for, man".

Avec H.N.I.C., comme attendu sur un solo, Prodigy est intime et personnel. Avec "Genesis", il revient sur son passé difficile. Sur "Veteran’s Memorial", il retrace son parcours avec nostalgie, et un brin d'amertume quand il évoque ses proches disparus trop tôt. Sur "Diamond", tout triomphal soit-il, le rappeur se souvient des moments où il tirait le diable par la queue. Et sur "Trials Of Love", il parle de problèmes de couple avec la première concernée, sa femme KiKi, qui s'exprime sous le nom de B.K. (a.k.a. Mz. Barz).

Le temps fort dans ce registre introspectif, Prodigy le garde pour la fin, avec "You Can Never Feel My Pain", quand il se livre sur la maladie qui le ronge depuis toujours, la drépanocytose, celle qui est son carburant, celle qui lui fait connaître la souffrance (la vraie, pas celle de pleurnicheurs fauchés du ghetto, précise-t-il), celle-là même qui finira par l'emporter.

Tout personnel soit-il, H.N.I.C. est toutefois sans surprise : l'album est un prolongement de l'aventure Mobb Deep.

Dès le très bon "Genesis", la signature du duo est ici : petite boucle de piano triste, percussions appuyées, phrasé au cordeau, tonalité grave et sinistre. A de nombreuses reprises, ce sont les paroles sombres, conflictuelles et violentes des gangs de rue, ce sont ces scènes de la jungle urbaine décrites à la dérobée. Havoc apparait même à plusieurs reprises, ainsi que toute une palanquée de rappeurs (dont les affiliés Big Noyd, Twin Gambino et le collaborateur fréquent Cormega), lesquels font de H.N.I.C. une aventure pas si solitaire que cela.

Secondé par des producteurs tels que The Alchemist, EZ Elpee, Rockwilder, Just Blaze, et Havoc bien sûr, Prodigy perpétue le son de Mobb Deep. Il l'actualise un peu, comme avec le son pompier de "Rock Dat Shit", bien dans l'esprit clinquant de l'an 2000, ou bien cet "Y.B.E." qui évoque le rap sudiste avec son thème (l'argent qui coule à flots) et son invité (B.G. de Cash Money). Mais pour le reste, ce sont des boucles qui laissent toute leur place aux raps, comme sur ce "Keep It Thoro" dépourvu de refrain. Ou bien ce sont les compositions amples et atmosphériques qui ont tant réussi au duo par le passé, celle par exemple de "Can't Complain".

H.N.I.C., cependant, est loin d'être parfait. Même si les rappeurs répondent présents, la boucle de clavecin sans variation de “What U Rep” est épuisante. Les beats de "Wanna Be Thugs", "Delt W/ The Bullshit", "Trials Of Love" et d'autres encore, font preuve de peu d'imagination. Et après un départ canon, l'album s'embourbe par instants, malgré des moments forts comme "Diamond", ce "Gun Play" produit de main de maître par Rockwilder et "Veteran’s Memorial" (si l'on veut mon avis, un bien meilleur travail d'Alchemist que celui du pourtant très populaire "Keep It Thoro").

Depuis The Infamous, le duo n'a jamais quitté le premier plan. Mais tout de même, progressivement, année après année, il perd de sa superbe, et H.N.I.C. précède de peu sa relégation dans la deuxième division du rap. Il est l'ultime artéfact d'une époque où Mobb Deep régnait là-bas, tout là-haut, au sommet de la scène rap new-yorkaise et globale.

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