Castor, The Twin, le second album officiel de Dessa, a une particularité : quand il sort en 2011, il n'est pas vraiment un inédit. En fait, il refond des morceaux déjà présents sur ses prédécesseurs, A Badly Broken Code, sorti l'année d'avant, mais aussi le EP False Hopes, sa contribution à une série de projets du même nom délivrés par le collectif Doomtree, datant quant à lui de 2005. Et à ceux-là s'ajoute un autre titre, "The Beekeeper", qui est un avant-goût du prochain album.

DESSA - Castor, The Twin

A cette époque, la rappeuse et chanteuse de Minneapolis se produit sur scène avec un trio (Dustin Kiel à la guitare et au clavier, Sean McPherson à la basse et Joey Van Phillips à la batterie), et elle cherche, avec Castor, The Twin, à transcrire sur disque leurs interprétations "live" de son répertoire.

Tel est le sens de ce titre étrange. Se référant aux Dioscures, les jumeaux de la mythologie grecque, Dessa nous offre une réplique à ses travaux d'avant. Mais alors que ces derniers, travaillés en studio, étaient le fruit de la divinité Pollux, ces versions révisées de ses titres les plus introspectifs, ceux qui parlent d'angoisses existentielles, de démêlées amoureuses et d'artistes damnés, représentent son frère mortel Castor.

On pourrait donc croire qu'avec ces interventions humaines, qu'avec l'ajout de ces guitares et batteries délicates, voire quelquefois de pianos et de violoncelles, Castor, The Twin soit le disque le plus fragile, le plus personnel et le plus émouvant de Dessa. Mais ce n'est pas exactement le cas.

Par tradition, il y a une hiérarchie dans la musique, et celle-ci place les "vrais" instruments au-dessus des machines. Ils seraient plus subtils. Ils seraient aussi un média plus direct, un intermédiaire plus simple entre l'esprit tourmenté de l'artiste et son public. Mais souvent, aussi, ils invitent à l'artifice et à la complaisance. Ils encouragent le plaisir solitaire.

Et cela déteint sur la rappeuse. Sur cet album, son interprétation devient précieuse et maniérée. Les syllabes s'étirent, de l'emphase est placée sur les mots. On entrevoit ici le futur de Dessa, ce vilain rap adulte qui lui a toujours pendu au nez, et qui ne fera que s'amplifier avec ses sorties à venir.

L'émotion demeure. Les deux "Mineshaft", "The Chaconne" et quelques autres morceaux donnent encore la chair de poule. Si l'on n'avait jamais connu que les versions de Castor, The Twin, on l'aurait sans doute présenté comme un grand album, peut-être même le chef d'œuvre de Dessa. Mais parce qu'il y a ce point de comparaison, on hésite.

Quand on vieillit, on voit les défauts de sa jeunesse. On trouve ce que l'on a fait alors naïf et mal dégrossi, on voudrait tout refondre, tout peaufiner. Et pourtant, tout imparfaits soient-ils, c'est souvent dans ces travaux d'origine que l'on retrouve la fougue et l'étincelle qui, in fine, ont fait de vous celui que vous êtes. Si Castor, The Twin est un très bon disque, ce n'est pas par le soin que Dessa et ses musiciens lui ont apporté : c'est par la qualité du matériau de départ.

Acheter cet album