On en rigolait encore il y a quelques mois, quand Young Dolph survivait à toutes les agressions, quand il se sortait des attentats sur sa personne, quand il y répondait par des sorties toujours meilleures que les précédentes, quand fier et bravache, il nommait l'une d'elles Bulletproof : à l'épreuve des balles. Mais la réalité, la dure réalité, a fini par le rattraper. Tout cela, après tout, n'est pas que du folklore. Le rappeur avait beau y répondre par l'ironie, la violence était bien réelle. Adolph Robert Thornton Jr. est mort le 17 novembre 2021, à 36 ans, dans sa bonne ville de Memphis. Alors qu'il achetait des cookies, deux hommes l'ont abattu. Et la seule consolation de l'histoire, c'est qu'il aura été bon jusqu'au bout. Le plus grand des rappeurs indé sera tombé un an après l'album Rich Slave, son plus grand succès, et après d'autres sorties de haut vol.
Pami ces dernières figure le second volet de Dum and Dummer, sa collaboration avec son protégé et cousin Key Glock. Celui-ci, en effet, a été encore supérieur à son prédécesseur, sorti deux années plus tôt. Après avoir marché dans les pas de Lloyd Christmas et Harry Dunne, les héros du film Dumb and Dumber, les deux rappeurs se sont inspirés cette fois de Beavis & Butthead pour peaufiner leur duo comique. Sur les grosses basses et la trap music mécanique du producteur maison BandPlay, ils en ont remis une couche avec leur phrasé haché et leur ton pince-sans-rire, débitant sur le mode de la rengaine un gangsta rap extravagant inspiré davantage du vrai maître de Young Dolph, Gucci Mane, que de sa bonne ville de Memphis.
Les deux hommes, qui se répartissent les raps à parts égale et adoptent le même flow saccadé, poussent jusqu'au grotesque leur obsession pour le luxe. Tel est leur thème, comme sur le single "Aspen", du nom de la station de sports d'hiver du Colorado, un lieu de villégiature pour les riches où la weed est présente en abondance, et où Dolph s'imagine, au petit matin, fumer de gros joints dans une robe de chambre Dior. Et puis, pour rappeler quelle époque nous traversons, en plus de leurs blagues habituelles sur la drogue et les filles qui tombent à leurs pieds, ils en font sur le COVID, comme sur le noir "In Glock We Trust", quand ils disent que bien avant le coronavirus, ces bandits qu'ils sont étaient déjà masqués. Young Dolph, après tout, n'a-t-il pas réédité il y a peu ses pochettes, plaçant un masque chirurgical sur toutes les faces ?
Toutefois, derrière cette humeur farceuse, derrière ces hymnes aberrants à la richesse tels que "I Can Show You", un très bon solo de Key Glock, transparait le sujet majeur des deux hommes. Young Dolph, n'avait pas appelé son album à succès Rich Slave par hasard : ce thème, qui est aussi celui au cœur du gangsta rap, c'est la revanche de l'esclave. C'est la réussite d'un homme qui, dans ses paroles, se compare à Obama, voire à Kadhafi, un grand ennemi de l'Amérique. C'est évident quand les deux rappeurs s'imaginent en goguette à Aspen. Ça l'est encore quand Dolph, sur "Sleep with the Roaches", se rappelle du temps où il dormait parmi les cafards. Et ça l'est encore plus sur "Case Closed", quand il prétend qu'il pourrait très bien sortir un album de country et s'acheter un manoir à Nashville, autrefois le repaire et le privilège du maître blanc.
Dum and Dummer 2 n'a finalement rien d'un album de country, et ce projet collaboratif n'est pas non plus le meilleur de Young Dolph. Mais il est bon. Aujourd'hui, le rappeur est mort, mais grâce à de telles sorties, il demeurera éternellement jeune, il sera grand pour toujours. Repose en paix, le roi de Memphis. Nous espérons que ton disciple Key Glock saura prendre le relai.
Fil des commentaires
Adresse de rétrolien : https://www.fakeforreal.net/index.php/trackback/3195