Formé autour de 1990, le trio 213 n'a jamais rien sorti de marquant. Pourtant, il a changé à jamais la face du rap californien le jour où sa musique est parvenue jusqu'à Dr. Dre. L'album à venir de ce dernier, The Chronic, et plus globalement l'ensemble du son g-funk, ne seraient en effet jamais devenus la révolution qu'ils ont été sans les raps de Snoop Dogg et sans les douces vocalises de Nate Dogg. Quant au troisième membre, il a été décisif dans le choix des samples de ce disque historique. C'est aussi par l'intermédiaire de Warren Griffin III, le "frère" du bon docteur (ils n'ont en vérité aucun lien de sang, le père de l'un était l'époux de la mère de l'autre), que le son des trois amis est arrivé jusqu'à lui. Warren G, cependant, n'a jamais intégré l'écurie Death Row. De manière avisée, il a préféré mener sa barque en solo. Suite au single de Mista Grimm "Indo Smoke", produit et co-interprété par lui, c'est chez Def Jam qu'il a signé.

WARREN G - Regulate... G Funk Era

Au milieu des années 90, le label historique du rap new-yorkais cherche à récupérer une part du gros gâteau californien, et Warren G s'avère alors un bon choix. Quelques mois plus tard, issu à l'origine de la BO de Above The Rim, le morceau "Regulate" devient un immense succès. Pour tous ceux qui ont vécu cette époque, cette sorte de réplique à "Nuthin' but a 'G' Thang" est synonyme de l'été 1994. Avec son sample suave issu du "I Keep Forgettin' (Every Time You're Near)" de Michael McDonald, avec une fois encore les doux chants de Nate Dogg, avec son histoire de gangsters remontant Long Beach, en route vers la fête, les filles et le East Side Hotel, il en est la bande-son. Il fait alors entrer le soleil californien dans de nombreux foyers.

Rarement, en effet, le rap n'a été aussi cajoleur. Racoleur, même, raillent à l'époque les éternels tenants de l'underground quand je leur confie mon goût pour ce morceau. Pour eux, tout cela est de la muzak, de l'infâme variétoche. Et ils n'ont pas totalement tort. Avec ce single, Warren G consacre cet adoucissement musical du rap qu'est le g-funk, son adaptation à un public plus large. Il lui fait franchir une étape de plus dans la grande entreprise de séduction qui l'amènera à devenir le genre dominant des musiques populaires. Même ce qu'il lui reste d'abrupt et de polémique, la posture de gangster, se trouve atténuée. L'hédonisme et le matérialisme sont presque bon enfant. Sur "Regulate", Warren G et Nate Dogg sont de braves gars. Et s'ils se rebiffent, c'est parce qu'on leur interdit de prendre du bon temps. Ils tuent quelqu'un en route, certes, c'est la loi du genre, mais tout cela n'est que de la légitime défense.

Et sur l'album qui suit, Warren G polit encore davantage les sons popularisés par The Chronic, un disque auquel il est fait maintes fois références, à travers des samples de Snoop Dogg issus de "Nuthin' but a 'G' Thang", ou les allusions à "Rat-Tat-Tat-Tat" sur "And Ya don't Stop". Avec son premier solo, Dr. Dre ne savait sans doute pas encore qu'il lançait un sous-genre en soi. Quelques titres du disque défendaient encore d'autres styles. Il lui restait beaucoup de NWA et du gangsta rap virulent du début. Mais son beau-frère, lui, le proclame noir sur blanc (ou blanc sur noir, plus exactement) : l'avènement du g-funk a eu lieu, nous sommes au cœur de son ère. Aussi Regulate…. G-Funk Era, se montre-t-il beaucoup plus homogène. Il ressemble parfois à une longue déclinaison du morceau-titre, en moins bien. Certains le lui ont même reproché.

Mais ils se trompent. L'album, en effet, contient d'autres temps forts. Le titre suivant, "Do You See", en est un avec ses synthés g-funk quintessentiels. Lui aussi transforme les gangsters en bons garçons en racontant le choix fait autrefois par Warren G, Snoop Dogg (alors Snoop Rock) et Nate Dogg de tenter leur chance dans le rap pour mieux quitter la rue. Autre single à succès, "This D.J.", se réfère lui aussi aux temps anciens du trio 213, quand Warren G était n'encore qu'un DJ, et il est irrésistiblement mélodique. Même des morceaux mineurs tels que le gentillet "So Many Ways" et ce "What's Next" connu surtout pour son erreur d'épellation ("N-X-E-T"…), se révèlent accrocheurs. Au fil de ces titres, le long de cet album pas si inégal que cela, Warren G compense ses limites de rappeur par sa simplicité élégante et par les invités adéquats, comme Nate Dogg bien sûr, ou encore Jah Skillz, une rappeuse dont on n'entendra plus parler ensuite, mais qui s'offre un égo-trip avec "Super Soul Sis". Et si besoin, il s'efface et ne s'assure plus que de la production, comme avec le dernier morceau cité, ou le très plaisant "This Is the Shack".

Le premier Warren G n'est peut-être que le plus chanceux des albums g-funk d'après The Chronic et Doggystyle. Parce qu'il contient "Regulate", parce qu'il est celui du beau-frère et du meilleur ami des auteurs des deux autres, il est le plus visible, il est le mieux exposé, plutôt que le meilleur. D'autres sortent alors, ou sortiront bientôt, par exemple ceux des Twinz et de The Dove Shack, des proches de Warren G tous invités ici. Ce disque n'en demeure pas moins l'un des classiques et des jalons de ce sous-genre emblématique de la Californie des années 90.

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