"Le rap voit désormais se confronter des mémoires concurrentes. S'y affrontent des discours différents sur qui sont ses grandes références, sur quels sont ses classiques. Il n'y a plus une seule histoire du rap, mais plusieurs, selon qu'on la raconte depuis New-York, Houston ou Paris". Ces mots, certains les reconnaîtront peut-être. Ils ont été écrits par l'auteur de ces lignes, dans un autre contexte, sur un autre support. Et ils s'appliquent parfaitement à l'exposition Hip-Hop 360 qui s'est ouverte il y a quelques mois à La Villette, à la Cité de la Musique, avec pour sous-titre gloire à l'art de rue. Une exposition qui marque une étape de plus dans le processus très largement avancé de légitimation et la normalisation du rap.

VINCENT PIOLET - Hip-Hop 360

Celle-ci, en effet, raconte l'histoire sous un angle français. Il est parfois question du hip-hop américain, surtout celui des premiers temps, mais principalement en sa qualité d'influence. La grande majorité des photos et des artistes mentionnés, eux, sont circonscrits aux frontières de notre pays. Comme son nom l'indique aussi, cette exposition parle du "hip-hop" davantage que du "rap", soit de l'ensemble de la culture associée, danse et graph inclus. Elle dénote ainsi d'une certaine perspective générationnelle, celle des années 80 et de la décennie 90. Ces dernières sont en effet très bien documentées, alors que la nouvelle génération de rappeurs français n'est représentée que par quelques têtes d'affiche. Hip-Hop 360 est, et c'est bien normal, l'exposition des gens en âge de monter ou de visiter des expositions. Elle est à voir (à titre personnel, j'ai beaucoup apprécié cet impressionnant mur de cassettes dédié à mettre en valeur le format mixtape), pour comprendre quel est aujourd'hui le "roman national" du rap.

Or, ce roman national, on sait qui en est désormais le dépositaire. Vincent Piolet a déjà largement contribué à son écriture via son remarquable Regarde ta jeunesse dans les yeux ainsi, plus indirectement, qu'à travers sa biographie de NTM, écrite avec Pierre-Jean Cléraux. Il est donc, logiquement, légitimement, celui qui a été sollicité pour écrire les textes de l'exposition, une tâche dont il s'est acquitté avec sa passion et sa précision habituelles. Ce travail, qui plus est, il l'a complété par un autre ouvrage, présenté comme le catalogue de l'exposition, et qui lui est complémentaire. Il s'agit d'une succession de portraits qui rendent hommage aux principaux acteurs de l'épopée du hip-hop français, ses promoteurs comme Sophie Bramly, Olivier Cachin et Fred Musa, quelques-unes de ses plumes telles qu'Oxmo Puccino (textes à l'appui), ou des DJs et producteurs comme Dee Nasty et Le Chimiste.

Sa démarche d'historien du rap français, Vincent Piolet la poursuit avec des textes à mi-chemin entre la biographie et l'interview (chacune des personnes traitées semble avoir été rencontrée pour de bon, et elle livre de précieuses anecdotes). Il la complète aussi par de nombreuses photos d'anonymes, de célébrités, ou d'anonymes devenus des célébrités. Certaines photos sont déjà connues, comme celle avec Joey Starr et Kool Shen jeune (plus Colt, Dehy et Solo) qui ornait la couverture du premier livre de Vincent Piolet, celle aussi du concert de Public Enemy où Stomy Bugsy apparaissait dans la foule, présente quant à elle dans Mouvement., le recueil de son auteur Yoshi Omori, une autre pièce importante dans cette mémoire du rap français. Mais de nombreuses autres images, récupérées depuis, y figurent aussi. Cette partie iconographique constitue même l'essentiel de l'ouvrage, sa partie textuelle étant vite lue.

Ce livre aussi, est le plus global de Vincent Piolet. Comme avec l'exposition, il y est question de hip-hop, pas seulement de rap. L'auteur traite pour une bonne part des origines, quand la culture hip-hop avait un sens et qu'on parlait des quatre éléments, en particulier en France, où la danse a longtemps compté davantage que la musique. Il contient le portrait de danseurs et de grapheurs, et même d'un beatboxer. Cependant, contrairement aux livres d'avant, ce recueil embrasse l'ensemble de l'histoire du rap français. Il parle de Kaaris, PNL, Laylow ou Lala &ce. Il est certes partial et parcellaire. Mais il est malgré tout, assez complet, s'acquittant de sa tâche, celle, pour paraphraser les instigateurs de l'exposition, de patrimonialisation du rap français.

Acheter ce livre