En 1988, sur son classique Life Is...Too Short, Too $hort n'a pas convié grand-monde. Seuls deux rappeurs le secondent, qui se côtoient sur le même morceau, "Don't Fight the Feelin'". Ce titre, c'est celui que choisit quelques années plus tard l'un de ces deux invités pour nommer son second album. Il en recycle même le sample, celui du "Don't Fight the Feeling" de One Way, sur son très licencieux morceau "She's a Sell Out". Anthony Forté, alias Rappin' 4-Tay, n'a pourtant pas tout de suite profité de sa proximité avec la star du rap de la Baie de San Francisco. Il s'est retrouvé quelques temps en prison pour des histoires de drogue avant de pouvoir sortir un premier opus, Rappin' 4-Tay Is Back, puis ce Don't Fight the Feelin', son œuvre la plus remarquée grâce au tube "Playaz Club", et aux singles "Dank Season" et "I'll Be Around".
Ce que Rappin' 4-Tay dévoile ici, c'est une musique typique de la Californie en général et de la Bay Area en particulier. Son rythme est souvent soutenu. On y trouve des sons électroniques et minimalistes, des guitares funky telles que sur l'endiablé "Tear the Roof Off" et des vantardises effrontées comme sur "The Gift", quand il prétend que son talent pour le crime lui vient du Très-Haut. Et la discothèque est souvent à l'arrière-plan, comme avec bien sûr ce "Playaz Club" de branleur patenté, sublimé par son sample de Judy Clay et William Bell (et remixé plus tard avec le même sample d'Isaac Hayes que le "Mind Playing Tricks on Me" des Geto Boys). C'est club, donc. C'est hédoniste, comme sur "Dank Season", le morceau syndical en l'honneur du cannabis, ou sur "Just Cause I Called You A Bitch" et "She's a Sell Out", ceux à propos des filles.
Ces filles, comme de vigueur en ces lieux, on les qualifie sans ambages de salopes. Car à l'image du parcours criminel et carcéral de l'individu, tout cela est aussi très rude, comme quand, sur "Keep One In The Chamba", Rappin' 4-Tay rappelle qu'un gangster doit se tenir sur ses gardes. Le g-funk de son "I'll Be Around" a beau reprendre tel quel le refrain sirupeux des Spinners, son "je serai là", son "tu sauras me trouver", ressemble à une menace plutôt qu'à une marque d'affection. Ce titre, le plus long de l'album, est d'ailleurs un commentaire social sur les périls du ghetto et sur la discrimination raciale. Toute la Baie est là, dans ses atours les plus périlleux comme les plus ensoleillés, sur cet album qui compte relativement peu de déchets.
Pour le rappeur de San Francisco, la suite de l'histoire ressemblera à son passé : il côtoiera encore quelques autres grands (notamment 2Pac, qu'il secondera sur "Only God Can Judge Me"), il retournera en prison, et il proposera quelques autres sorties, mais sans jamais plus rien faire d'aussi notable. On le verra réapparaitre quelques temps en 2013, à l'occasion de la sortie du titre "Who Do You Love" d'YG, accusant à raison Drake (ce vampire, ce vautour) d'avoir pillé sans le créditer tout un couplet de "Playaz Club". Mais ce qui reste essentiellement de lui, aujourd'hui, c'est cet incontournable du rap de la Bay Area qu'est Don't Fight the Feelin'.