En 1997, à New-York, tout avance si vite que c'en est alors déjà fini de l'ère du rap des rues froides. Après s'être imaginées sous les traits de parrains de la mafia avec Raekwon, Nas et Jay-Z, les cailleras parvenues de la Côte Est passent au fantasme supérieur. A l'époque de Puff Daddy, on met en scène une vie de luxe et de volupté. Le pessimisme et la dureté d'avant ne perdurent plus que dans l'underground, celui de Company Flow. Et celui-ci, forçant sévèrement la dose côté froideur et expérimentation, n'a plus aucune chance (ni volonté) de toucher le grand public. Seuls ou presque dans cette veine, celle du Nas période Ilmatic et du Mobb Deep de The Infamous, sévissent alors Capone et Noreaga.

CAPONE-N-NOREAGA - The War Report

Pour le duo du Queens, l'heure de sourire n'a pas sonné. Les pseudos de Kiam Holley et de Victor Santiago l'annoncent, qui reprennent les noms d'un criminel et d'un dictateur (et criminel, aussi) notoires. Leurs acolytes eux-aussi, s'identifient aux grands ennemis de l'Amérique. Il y a un Musaliny et un Castro. Leur protecteur, Intelligent Hoodlum, s'appelle désormais Tragedy Khadafi. Et pour amplifier le message, tous ces gens adoptent une imagerie militaire, avec treillis et tout le tintouin. Assimilés à des zones de guerre, leurs quartiers sont rebaptisés Koweït, Liban ou Iraq.

Ces rappeurs, en somme, ne sont pas des tendres. Capone, d'ailleurs, croupit alors en prison, une incarcération qui a obligé le futur NORE à terminer cet album sans lui, avec le renfort de Tragedy Khadafi, si présent sur The War Report qu'il en devient presque un membre honoraire du duo.

Sur cet album, le ghetto n'est pas glamour. La seule préoccupation dans ce monde du deal de crack que nous dépeint d'entrée le très fort "Bloody Money", c'est la survie. Ce qui nous est présenté, c'est un univers de violence et d'adversité. On y parle de vengeance contre des types qui recèlent de la mauvaise came ("Stick You"), on y montre une hostilité féroce envers ceux qui jouent aux gangsters de studio ("Halfway Thugs"). C'est la même jungle urbaine que celle décrite autrefois par Donald Goines, une influence majeure du duo, deux morceaux prenant le nom de ses livres ("Black Gangstas" et le noir "Neva Die Alone"). C'est un monde où la délinquance va de soi, comme sur leur premier single, "Illegal Life", redoutable avec son sample façon Bollywood.

Quand C-N-N se dépeignent en rois de la drogue sur leur morceau de bravoure, "T.O.N.Y", le refrain va jusqu'à parler de tuer un flic. Ils vont si loin dans l'outrage que certains titres ont dû être censurés ou édités, comme cette histoire de viol sur "Parole Violators". Même quand arrive le temps des sentiments, comme sur le très bon "Live on Live Long", la criminalité n'est pas bien loin : il s'agit en effet, pour Noreaga, de rendre hommage ici à un Capone emprisonné.

The War Report c'est aussi, à cette heure encore, l'époque de la rivalité entre les deux côtes. Capone-N-Noreaga nous en offrent un nouvel épisode à travers un de leurs morceaux les plus mémorables, un "L.A., L.A." (avec Mobb Deep et Tragedy Khadafi) qui se veut une réponse directe au "New-York, New-York" de Tha Dogg Pound (avec Snoop Dogg).

Avec ses références Black Muslim, avec sa production assurée par des pointures telles que Marley Marl, Buckwild, Havoc, Lord Finesse (et DJ Clark Kent), avec son art raffiné du rythme lourd et de la boucle, avec ces samples cinématiques où souvent le piano domine et qui parfois s'éternisent, The War Report alimente les derniers feux d'une époque. Il est l'ultime classique ou presque d'un très grand rap new-yorkais. C'est un album que le duo n'égalera plus, malgré la carrière faste d'un NORE popularisé l'année d'après par "Superthug", un single produit par des Neptunes, point de passage, en quelque sorte, entre une époque et une autre.

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