Les intellos du hard rock. Ainsi a-t-on souvent présenté le Blue Öyster Cult. Et pour cause, ces New-Yorkais s'étant parfois distingués de leurs pairs par leurs textes obtus, écrits par des personnes aussi distinctes que le critique rock Richard Meltzer et son ami Sandy Pearlman, le producteur du groupe, mais aussi la future poétesse punk Patti Smith (un temps en couple avec le clavier du groupe, Allen Lanier), ou encore l'auteur britannique de fantasy Michael Moorcock.

BLUE OYSTER CULT - Secret Treaties

Ils ont aussi gardé quelque chose de leur passé de rockeurs psychédéliques, du temps d'avant qu'ils ne se mettent en tête de devenir la réponse américaine à Black Sabbath.

A vrai dire, Blue Öyster Cult n'a même jamais vraiment ressemblé aux Anglais. Ils ont été eux-mêmes (et c'est tant mieux), notamment sur ce disque, Secret Treaties, souvent considéré comme leur meilleur, l'apothéose d'une trilogie dite des "albums en noir et blanc", du fait de leurs pochettes.

Certes, on trouve chez eux les thèmes pervers et indécents qui vont à l'univers hard rock. Il y a tout d'abord cet intérêt pour la Seconde Guerre Mondiale, côté nazi. Outre le tréma de leur nom, qu'ils ont choisi pour son côté teuton, le groupe nous livre cette fois un morceau intitulé "Me 262", d'après un modèle d'avion Messerschmitt, celui qui est sur la pochette, et il décrit un raid meurtrier sur l'Angleterre.

Les textes sont malsains. Sur "Dominance and Submission", on entrevoit un plan à trois incestueux. Sur "Harvester of Eyes", il est question d'un type qui collectionne des yeux. Dès les premières lignes de "Flaming Telepaths", Eric Bloom nous dit qu'il s'ouvre les veines. Et sur "Mommy", un titre ajouté sur l'album en bonus, le chanteur nous parle de tuer sa mère et sa fille. Bref, comme Albert Bouchard le chante sur le single "Career of Evil", le Culte de L'Hüitre Bleue a choisi le chemin du mal. Pour paraphraser un morceau de leur prochain album, "this ain't the summer of love".

Mais c'est tout de même encore du bon vieux rock'n'roll.

Le groupe n'a pas la dureté du heavy metal à venir, la lourdeur n'est pas son objet. Ce même titre, "Career of Evil", est écrit avec les mots élusifs de Patti Smith, eux-mêmes inspirés par le poète Lautréamont, et il est agrémenté d'un orgue dégoulinant que n'aurait pas renié Ray Manzarek. "Subhuman", quant à lui, est accompagné de guitares aériennes qui annoncent presque celles de Television. Et même quand les paroles abordent des thèmes de nerd, avec sur "Astronomy" et sur ce même "Subhuman" des histoires d'extra-terrestres (ces fameux Imaginos qui nommeront un album tardif du groupe), elles le font sur un mode poétique et littéraire.

Blue Öyster Cult demeure un groupe de rock classique, qui connaît le succès de son temps, tant avec le critique qu'avec les chiffres de vente. Mais cela ne l'empêche pas d'avoir une postérité. Il y a bien sûr le tréma de son nom, repris par Motörhead et par quelques autres amateurs de grosses guitares comme Mötley Crüe et Queensrÿche (ça reste à voir pour Jaÿ-Z, ah ah). Beaucoup plus tard, "Astronomy" sera interprété par Metallica sur leur album de reprises Garage Inc.. La maman de Harry Potter, J.K. Rowling, citera le groupe dans un roman intitulé justement "Career of Evil". Et aujourd'hui encore, on ne peut blâmer tout à fait ce sondage du Melody Maker qui, en 1975, a désigné Secret Treaties comme le "plus grand album de rock de tous les temps".

Car rien n'y est à jeter, tous ses titres sont bons. Et il a le mérite de garder le meilleur pour la fin, avec deux morceaux parfaits. D'abord, "Flaming Telepaths" avec ses propos tourmentés, son piano obsédant, un solo de synthé inattendu auquel succède un autre, splendide, de guitare cette fois, puis cette accélération somptueuse qui nous achève pour de bon. Et il y a donc "Astronomy", une ballade en plusieurs temps avec des paroles opaques typiques de Sandy Pearlman, terminée comme il se doit par le solo de guitare idoine. Soient deux titres qui consacrent chez Secret Treaties le statut de classique de ce que l'on appelait encore le hard rock.

Le prochain album de Blue Öyster Cult, Agents of Fortune, passera enfin à la couleur, il contiendra leur plus grand tube, "(Don't Fear) The Reaper", et il ouvrira une nouvelle phase de leur carrière, celle d'albums plus produits, plus soucieux de plaire au grand public. Mais comme souvent en pareil cas, plus jamais le groupe ne surpassera le disque précédent.

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