Vu de France, ce n'est pas une évidence. Et pourtant, en 2019 et 2020, YoungBoy NBA a été l'un des rappeurs les plus populaires d'Amérique. Sur cette période, trois de ses sorties ont occupé la première place du Billboard, et il faisait partie l'an passé des cinq artistes les plus écoutés sur les plateformes de streaming. Son émergence remonte à 2015, quand il a sorti sa première mixtape et que son beef avec un autre rappeur de Baton Rouge, Scotty Cain, a commencé à faire du bruit. Puis en 2016, il a délivré un 38 Baby où figuraient les deux grandes figures du rap local, Boosie Badazz et Kevin Gates. Malgré un séjour en prison au même moment, pour des soupçons de meurtre, c'est avec ce projet qu'il percerait, rejoignant ensuite la major Atlantic, et côtoyant des stars du rap telles que Migos, Future, Lil Wayne ou Nicki Minaj.

YOUNGBOY NEVER BROKE AGAIN - 38 Baby

Kentrell Gaulden consacre la formule des deux gloires de Baton Rouge, les susnommés Lil Boosie et Kevin Gates. Il est lui aussi un délinquant, comme le prouvent ses démêlés incessants avec la justice, qui se trouve partagé entre une mélancolie noire et l'envie de brûler sa vie par les deux bouts. Tout va si vite avec YoungBoy NeverBrokeAgain, qu'à 21 ans, il a déjà multiplié les séjours en prison, sorti une foultitude de projets et engendré sept rejetons. Il est, comme son pseudo l'indique, un jeune garçon qui ne veut plus jamais être fauché. Il souhaite reléguer loin derrière lui un passé marqué par un grave accident d'enfance et par l'absence de ses parents, sans pouvoir tout à fait s'en débarrasser, à l'instar des cicatrices qu'il a au front.

Sa musique, avant toute chose, est cathartique et autobiographique. Elle est simplement cela : l'exposé de ce qu'il vit. Le morceau d'ouverture de 38 Baby, "How I Live", ne dit pas autre chose, qui passe en revue tambour battant toutes ses expériences dans cette ville, Baton Rouge, l'une des plus dangereuses des Etats-Unis : subvenir au quotidien aux besoins de sa famille, être harcelé par la police, voir ses proches être tués ou incarcérés, s'équiper d'armes à feu pour répondre aux menaces, partir au charbon pour mener durement le métier pas si glamour de dealer. Même chose pour le morceau éponyme. Le "38" dans son intitulé ne se réfère pas seulement au calibre de son révolver, mais aussi à son adresse à Baton Rouge, Northside 38.

YoungBoy NBA, donc, parle de son environnement soumis à la violence et à la traîtrise ("Up In Blood", avec Boosie), il énonce les règles de survie en vigueur dans le ghetto ("What I Was Taught"), il se montre prêt à la violence ("I Ain't Hiding") et évoque le poids des responsabilités qui reposent déjà sur ses épaules de teenager ("For It"). Quant au reste, conjugué aussi à la première personne, c'est un énoncé sans fin des peines subies par le rappeur. Mis bout à bout, ses morceaux ressemblent à un long journal intime déprimé. Ici, le jeune homme d'alors 16 ans invite à prier pour sa tante atteinte d'un cancer ("Hell and Back"). Là, il chante sans conviction des rêves d'amour et d'évasion ("Ride Out"). Ailleurs, il pleure l'absence de son père ("Gravity"). Les seuls répits sont les moments que l'adolescent passe avec les filles ("Down Chick"), ceux où il s'échappe dans le sexe ("My Kind of Night"), où il s'oublie dans le lean ou l'ecstasy ("Like Me").

L'atout maître du rappeur, c'est qu'il partage toute cette peine avec un sens inné de la mélodie. Il excelle dans les ritournelles à la guitare, au piano ou au synthétiseur, et sa voix aigre a une grosse charge émotionnelle, comme le prouve ce temps fort qu'est l'intense "Like Me" avec Kevin Gates et Stroke tha Don, où il se montre pris en étau entre fierté et détresse. A ce titre, il faut ajouter "38 Baby", le single parfait avec ses sonorités asiatiques, ses changements de ton et la voix nouée de YoungBoy NBA, tantôt retenue, tantôt lâchée. Même réussite avec ce final "They Ain't With Me" où l'adolescent, érigeant Chief Keef en modèle, entrevoit une sortie grâce à sa carrière de rappeur. L'avenir lui donnera raison, même si, au vu des affaires récurrentes où il est cité, il demeurera longtemps encore le produit des bas-fonds de Baton Rouge.

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