Ce qui marque les esprits avec Jeffery, c'est d'abord cette pochette incroyable, l'une des plus emblématiques de l'histoire du rap, où Young Thug prend la pose de Michael Jackson dans une robe du créateur Alessandro Trincone. Jouant de manière provocante de l'ambiguïté sexuelle, il fait alors grincer les dents d'une vieille garde hip-hop qui a déjà bien des soucis avec sa trap music bizarre et franchement déglinguée.

YOUNG THUG - Jeffery

Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'un gros rappeur du coin joue avec les codes vestimentaires féminins. A l'époque de "Ms. Jackson", l'un des singles emblématiques d'Outkast, André 3000 était déjà apparu en robe, au grand dam des machos du rap. Le parallèle entre ces deux-là est d'autant plus pertinent qu'à ces moments respectifs de leurs carrières, en affirmant leur liberté artistique et leur créativité débridée par de telles postures excentriques, chacun s'impose au grand public comme le rappeur le plus important d'Atlanta.

Young Thug, pourtant, dira n'avoir pas grand-chose à faire de son illustre prédécesseur. Ses idoles sont tout autres. Il les affiche d'ailleurs sur cet album (ou "mixtape commerciale"...) en nommant les plages d'après eux. Avoir inspiré Thugger, c'est en effet ce qui rassemble Gucci Mane, Future, Kanye West, Webbie, Swizz Beatz, Rihanna, le boxeur Floyd Mayweather, et même Harambe, le gorille du zoo de Cincinnati tué récemment parce qu'un enfant était tombé dans son enclos. Tous donnent leurs noms à un titre de Jeffery.

Si, connaissant Young Thug, toutes ces influences font sens (le gorille y compris), on s'étonne de voir cité Wyclef Jean. On ignorait qu'il en était fan. La marque de l'ancien Fugees s'entend pourtant, à travers les sons caribéens du morceau exceptionnel qui porte son nom (un tube aux airs de reggae qui est aujourd'hui un standard de Thugger), ainsi que sur le bonus "Pick up the Phone", avec Travis Scott et Quavo.

Young Thug cite ses idoles. Toutefois, ne comptez pas sur lui pour se fendre d'un hommage larmoyant à tous ces gens. Il y a bien un rapport, parfois, entre le titre et le contenu des plages. Sur "Future Swag" par exemple, Young Thug imite le phrasé de Future. Sur "RiRi", il répète le mot "work", comme sur le titre homonyme de Rihanna. Et sur "Guwop", avec Young Scooter, Quavo et Offset, il réunit quelques-uns des plus fiers enfants du parrain de la trap music. Mais le plus souvent, cette connexion est ténue, voire inexistante.

Histoire de brouiller les pistes, Gucci Mane n'intervient pas sur ce "Guwop" qui porte son petit nom, mais sur "Floyd Mayweather", avec le disciple de son disciple, Gunna. Wyclef Jean aussi est là, mais sur "Kanye West", un titre qui s'est intitulé avant "Elton John", puis "Pop Man". Pour ajouter à la confusion, la mixtape elle-même s'est d'abord appelée No, My Name is Jeffery, Jeffery Williams ayant choisi un temps d'afficher son vrai nom, avant d'en revenir à Young Thug.

Ce qu'il faut retenir de tout cela, et nous le savions déjà, c'est que ce garçon est un grand fou, qu'il est un infatigable fantaisiste. Et il le montre encore, avec son phrasé imprévisible, ses cris, ses répétitions, ses onomatopées, sa voix qui se déchire et qui s'étrangle, celle qui confine au chant sur "Webbie", celle qui se casse et qui se fâche sur le rageur "Harambe", le titre le plus possédé de toute la mixtape. Ses textes sur l'argent, la drogue, le sexe, les gangs et les belles bagnoles sont toujours ceux de la trap music, mais malaxés une fois encore, à tel point qu'ils en sont inintelligibles.

C'est le Young Thug auquel nous nous sommes alors habitués, ses surprises ne nous surprennent plus. D'autant plus qu'à son échelle, c'est dans un format presque propre qu'est livré Jeffery. Un format bien conçu et accrocheur, plus policé que 1017 Thug, plus relevé et accessible que Barter 6. Un format qui va de pair avec la consécration que connaît à ce moment-là ce rappeur, l'autre grand ATLien de l'histoire.

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