Il fut un temps, autrefois, où le rap était joyeux, coloré, animé et rempli d'ondes positives. Et celui-ci se prolongea plus longtemps qu'on ne le croit. Au début des années 90, en effet, alors que le hip-hop virait au politique, au gangsta, voire au porno, alors qu'il devenait la musique la plus dangereuse du monde, les New-Yorkais Carlos Evans (alias Haas G) et Kim Sharpton (alias Kool Kim), faisaient sous le nom de U.M.C.'s (les Undisputed Masters of Charisma, paraît-il) des tubes légers et agréables. Deux de leurs singles, "Blue Cheese" et "One to Grow On", parvinrent au sommet des charts, et leur premier album, sorti sur le label qui abritât aussi Main Source, Gang Starr, O.C., Lord Finesse, The Coup et les Ultramagnetic MC's, fut également un succès.
Haas G et Kool Kim venaient eux aussi de Staten Island, ils avaient côtoyé de très près les futurs membres du Wu-Tang, ils avaient été les premiers rappeurs à citer la fameuse confrérie chinoise dans leurs morceaux (sur "Any Way the Wind Blows", "Pass It On" et "Hey Here We Go") et leur producteur R.N.S. a eu une influence décisive sur le style de RZA (il lui prêta le sampleur qui lui permit d'enregistrer le premier album du Clan). Leur musique, cependant, était aux antipodes de celle, très noire et très inconfortable, popularisée quelques temps après par leurs collègues. Certes, il y avait quelques récits de quartier sur Fruits of Nature, comme sur "Morals", quand Kool Kim parlait d'un ami tellement bridé par sa mère qu'il avait fini par fréquenter les voyous. Mais ils étaient abordés avec une perspective très moralisatrice.
Dans l'ensemble, les U.M.C.'s optaient plutôt pour une musique jazzy, festive et rythmée, des égo-trips et du style battle bon enfant, et un emploi ludique et abondant des samples tout comme des scratches. Hormis sur "Woman Be Out", où Haas G et Kool Kim avaient la rancœur de jeunes garçons dupés par leurs copines, leur album n'émettait que des bonnes vibrations, comme avec l'ode à l'amitié de "You Got my Back". Ils étaient plein de gentillesse, comme sur ce "Feelings" où ils faisaient part de leurs sentiments pour la gent féminine. Ils étaient animés par de bons principes, comme sur ce "Jive Talk" qui se moquait des mythomanes patentés, ou sur "It's Gonna Last", quand ils disaient ne pas avoir besoin d'alcool ou de drogue pour planer.
Et c'est ce qui leur réussissait. Comment résister, en effet, à un titre tel que "One to Grow On" ? Le sample astucieux d'un piano tiré du "Good Humour Man" de Blue Mitchell, pimenté de scratches, d'une note de cuivre sortie de nulle part, d'un extrait du "Ursalena" de Bill Cosby et, in fine, des divagations d'un saxophone, en faisaient un single parfait. "Blue Cheese" n'était pas en reste, quand ils s'en prenaient aux rappeurs d'opérette, avec un refrain irrésistible déniché chez Solomon Burke. Et ailleurs, les chœurs d'enfant de "Never Never Land" ou les pulsations de ce "Hey Here We Go" extatique et revanchard, étaient tous admirablement bien trouvés.
Mais l'époque n'était plus à cela. Ce rap riant allait bientôt s'évanouir, et le duo ne lui survivrait pas longtemps. Cet album n'eut qu'un seul successeur, Unleashed, en 1994, qui tenta de recoller à l'atmosphère hardcore de l'époque, mais fut nettement moins remarqué. Les choses allaient si vite dans le hip-hop de ce temps-là que les U.M.C.'s, malgré leur succès, retombèrent très vite dans l'oubli, coulant en même temps que leur label Wild Pitch. Et pourtant, les deux rappeurs ne disparurent pas tout à fait. Ils étaient encore actifs dans les années 2000, chacun s'engageant dans l'une des deux grandes voies qui s'ouvraient alors pour le rap new-yorkais.
Sous le nom de Phantom of the Beat, Carlos Evans poursuivait sa carrière de producteur auprès de quelques stars, ses amis du Wu-Tang tels que Inspectah Deck et Ghostface Killah, mais aussi Busta Rhymes, ainsi que Lil Kim et 50 Cent, le temps de leur single en commun à succès "Magic Stick". Alors que Kim Sharpton, lui, sous le nom de NYOIL, prenait le chemin de l'underground, cultivant le secret et critiquant les rappeurs grand public considérés comme des traitres à la cause noire, sur "Y'All Should All Get Lynched", un titre acrimonieux dont la vidéo controversée s'en prenait au même 50 Cent. Rien de cela n'honora vraiment la promesse faite sur la dernière plage de l'album,"It's Gonna Last", celle de voir le nom des U.M.C.'s gravé dans l'histoire. Et pourtant, vu l'excellence de ce Fruits of Nature, ils le mériteraient amplement.
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