La scène rap originale de Memphis a plus ou moins évolué en deux écoles distinctes. Celle de Three 6 Mafia, Al Kapone, Tommy Wright III et les autres, avec son rap agressif et outré aux relents de film d'horreur. Et celle, toute aussi gangsta, toute aussi influente, mais plus ronde et plus apaisée, de Eightball & MJG. Les uns se sont affichés en brutes sauvages nihilistes, tandis que les autres ont été des pimps hédonistes, qui se sont vite liés à leurs collègues du Texas.

TELA - Double Dose

A Houston, en effet, les deux hommes ont rejoint le Suave House de Tony Draper, un label dont le nom leur était prédestiné, et dont ils deviendront bien vite le porte-drapeau. Et dans leur sillage, ils ont entraîné un autre rappeur de Memphis, Winston Rogers III, alias Tela, dont le premier album, Piece Of Mind, a été l'un des disques phares de Suave House, avant qu'il ne rejoigne la plus grande et le plus prestigieuse structure rap de la ville texane, Rap-A-Lot.

Cette nouvelle maison lui apporte alors un surcroit de visibilité. Et même si on continue à considérer Piece Of Mind comme sa pièce maîtresse, ce qu'il sort sur le label de J. Prince est loin d'être quantité négligeable, notamment son premier opus là-bas, Now Or Never, tout comme le dernier.

Double Dose, s'intitule-t-il, à propos. Il nous offre en effet un fort concentré de la médecine de Tela, de sa musique si intensément sudiste. Tout est là, dès le premier titre : la décontraction du maquereau, les gémissements lascifs d'un chanteur de soul, les percussions, les violons orchestraux et les guitares funky de la Great Black Music de la décennie 1970, mais surmontés d'une prose de branleur très actuelle.

D'autres morceaux usent des mêmes instruments organiques et chaleureux, des mêmes voix soyeuses et harmonieuses, comme le sensuel et torride "Incredible", ou encore "Strive", où ils accompagnent les conseils d'O.G délivrés par Tela. C'est le son qui convient à son numéro de proxénète, quand il dit parader avec une armée de putains dans sa Cadillac ("25 Hoes"). Mais il sied tout autant au touchant "Coco", où le rappeur change de registre et devient presque féministe, racontant la résilience d'une fille à la vie pas facile.

Sinon, toujours pour répondre à leurs préoccupations portées sur le sexe, Tela et ses complices optent pour les sons synthétiques et tournoyants également très populaires dans le Sud, sur "Down 4 Me", "Wangin'", "Dreams", sur les morceaux conçus pour les clubs "Tear It Up" et "Shake It Off", et sur ce "Hold Up Man!" agrémenté par une guitare rock.

Double Dose, c'est du Tela, mais aux heures de gloire du rap sudiste, à une époque où il passe de la marginalité à la prédominance. Soutenu par quelques têtes d'affiche de cette portion des Etats-Unis (Bun B, Eightball & MJG, Devin The Dude et le fidèle Jazze Pha), ou par des grands en devenir (The Game, Drumma Boy à la production), cet album est accessible et d'une grande assurance. Cela est manifeste sur "Pimp Bitch", un morceau sur les filles plus bon enfant que son titre ne le suggère, tout comme sur "Double Dose", avec ses irrésistibles refrains chantés par des voix féminines.

Ce sont les grands feux d'une scène de Memphis maintenant très exposée, que Tela célèbre avec quelques concitoyens tels que Gangsta Boo, Yo Gotti, Criminal Manne et d'autres, sur "Tennessee Titans". C'est un chant du cygne, aussi, le rappeur mettant sa carrière en pause à la suite de cet album.

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