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PIERRE-JEAN CLERAUX & VINCENT PIOLET - NTM, Dans la Fièvre du Suprême

Livres

PIERRE-JEAN CLERAUX & VINCENT PIOLET - NTM

Leur biographie du Suprême NTM, Pierre-Jean Cléreaux et Vincent Piolet la terminent par un long aparté sur les problèmes de JoeyStarr et de Kool Shen avec la justice, traitant de faits divers tels que le fameux épisode de l'hôtesse de l'air. Par la même occasion, ils traitent de l'instrumentalisation politique qui ont suivi ces ennuis, et plus globalement de tout le cirque médiatique qui, une fois que les deux principaux membres du groupe de la Seine Saint-Denis sont devenus des stars, n'a plus cessé de les rattraper. Le fait que les auteurs ne traitent de cela qu'à la fin, dans un texte à part, celui aussi qu'ils aient fait figurer en couverture le troisième larron de NTM, un DJ S méconnu du grand public, résument quel est le projet de cet ouvrage : délivrer un livre de fans, s'intéresser au groupe en lui-même, à son monde, à son entourage et à son œuvre, plutôt que de se perdre sur l'écueil habituel du sensationnalisme.

PIERRE-JEAN CLERAUX & VINCENT PIOLET - NTM, Dans la Fièvre du Suprême

A l'origine, Pierre-Jean Cléreaux et Vincent Piolet avaient fait chemin à part. Chacun s'était préparé, dans son coin, à rédiger la biographie de référence du groupe pionnier du rap français. Mais comme ils étaient déjà publiés chez le même éditeur, l'un ayant écrit une anthologie du rap new-yorkais (New-York State of Mind, 2017), l'autre retracé la genèse du hip-hop français (Regarde ta Jeunesse dans les Yeux, 2015), ils se sont retrouvés autour de ce projet commun : rendre grâce à la véritable histoire de NTM, en se focalisant sur leur musique.

Les personnalités fortes des membres du groupe sont abordées dans le détail, bien sûr, mais à travers les témoignages multiples des gens qui les ont côtoyés pour de bon. Et en premier lieu, les auteurs s'intéressent au cheminement du Suprême, à sa maturation et à son processus de création. Abondamment, ils nous parlent des négociations difficiles avec leur label, du temps passé en studio, de leurs visions artistiques, de leurs démarches de promotion originales, comme avec le lancement du magazine Authentik ou celui d'un faux bootleg. Il est question aussi du tournage de leurs clips, des coulisses de leurs concerts, des relations avec leur public.

C'est une plongée chez NTM les rappeurs, que les auteurs nous proposent. Sans rien cacher de leurs frasques et de leurs aspérités (JoeyStarr et Kool Shen en ont beaucoup), ils décrivent avant tout leur parcours de musiciens, arrêtant net leur récit quand, au début des années 2000, le groupe cesse toute activité en commun. Il n'est rien dit de leurs carrières d'après, celle de JoeyStarr l'acteur, celle de Kool Shen le joueur de poker. A ce stade, ce n'est plus NTM, et ce n'est plus du rap. Ce n'est donc plus l'objet du livre. Seul l'intéresse le Suprême, en duo, comme dans sa configuration originale, plus large. Tant qu'on parle de hip-hop, il est aussi question de leurs proches, de leurs labels respectifs Boss et IV My People, ou des relations complexes et conflictuelles de NTM avec l'autre groupe fondateur du rap français, IAM.

Derrière l'histoire de ces quelques hommes, c'est aussi celle, plus générale, d'un rap pionnier qui a essuyé les plâtres face à une société qui peinait à le comprendre. Pour paraphraser un morceau du groupe, tout ne fut pas toujours si facile. L'industrie de la musique, dirigée par des gens issus de la génération rock, voire plus vieux encore, ne savait trop comment marketer ces gens. Ce fossé culturel et générationnel, on le constate même quand Bérurier Noir, le groupe phare de la scène rock alternative, qui voit en NTM ses successeurs, demande à les rencontrer. Alors que, tout à leurs idées politiques de contre-société et de subversion, les punks essaient de convaincre les rappeurs de prendre la voie de l'underground et de l'indépendance, les autres pensent tout au contraire qu'il faut investir la vieille industrie et viser le grand nombre.

Et c'est ce qu'ils finiront par faire. Aujourd'hui, les vieux débats ringards sont oubliés, les polémiques sont au placard, beaucoup des politiques démagogues et parfois corrompus qui ont fait leur beurre des inconduites et des provocations des rappeurs, croupissent au fond des poubelles de l'histoire. La postérité a donné raison à NTM, comme le souligne la conclusion :

Le groupe a toujours annoncé la couleur : le rap n'est pas un passe-temps mais bien un art de (sur)vivre. Contradiction, talent, inventivité, NTM a porté le rap comme d'autres groupes ont pu le faire pour le rock ou le punk. Ils ont fini par être considérés pour ce qu'ils sont, des artistes, les meilleurs dans le genre et si le groupe a pris fin avec le nouveau siècle, le rap est encore là (p. 267).

Mais justement. Comment donc ce groupe en est-il arrivé là, alors même qu'au début des années 90, il se sentait pénalisé par son amateurisme, par rapport aux déjà très pros et très américains IAM ? A cette question, le livre apporte plusieurs réponses, que ce soit dans le fil chronologique principal du récit, ou dans ces nombreux focus en caractères plus gras, destinés à creuser quelques sujets adjacents au groupe, par exemple les émeutes de Vaulx-en-Velin en 1990, l'importance du graf dans leur parcours, le film La Haine ou l'artwork de leurs disques.

Le premier atout du groupe, c'est qu'il était francilien. Quoi qu'on dise de l'antagonisme entre les quartiers aisés de la capitale et ses cités déshéritées, tout cela appartient au même univers. Nos Dyonisiens, dès les années 80, croisent la route des gens de Paris, de Versailles ou d'ailleurs. Très tôt, un JoeyStarr fréquentait des gens du show-business, il écumait les clubs branchées, contribuant à bâtir un réseau que le groupe pourra exploiter plus tard. Le second, c'est sa complémentarité. Outre les personnes qui gravitaient autour d'eux, chacun des deux membres principaux de NTM apportait ce qui manquait à l'autre. La contribution de Kool Shen à l'épopée NTM, ce serait sa rigueur, sa vision, sa force de travail. Celle de ce grand possédé de JoeyStarr, ce serait le grain de folie, les traits de génie imprévisibles, l'extraordinaire présence.

L'autre mérite du groupe, c'est de ne jamais avoir perdu de vue la base, en dépit des sirènes du succès. C'est ce contact étroit avec le 93, leurs fans et leur culture d'origine qui leur a permis d'innover en matière d'approche marketing. C'est ce souci d'authenticité revendiqué qui leur vaudra un respect durable. C'est cette envie de tout donner à leur public, entretenue par des concerts, qui en feront des bêtes de scène (une tradition dans la musique française, souvent médiocre en studio mais excellente en live). Leur dernier atout, enfin, c'est la persévérance. Avec NTM, ce n'était pas gagné. Leur capital originel, c'était bien davantage leur statut de pionnier que leur qualité musicale. Mais ils ont grandi, ils ont mûri, ils ont suivi un chemin inverse aux autres, habités au début, puis qui se perdent dans des carrières trop longues.

NTM, lui, s'est bonifié avec le temps. Chaque album ou presque a été supérieur au précédent, et leur statut n'a jamais cessé de se consolider. Puis il s'est évanoui pile au bon moment, au sommet de sa gloire, en apothéose, au terme d'un crescendo dont ce livre est le grand récit.

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