La plus grande qualité de ce volume de la série 33 1/3, c'est son objet. En effet, même s'il n'est pas le plus évident ni le plus connu de tous, surtout quand on le compare aux autres albums hip-hop abordés jusqu'ici dans la collection, d'énormes standards tels que It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back, People’s Instinctive Travels and the Paths of Rhythm, Paul's Boutique, ou Illmatic, le Uptown Saturday Night de Camp Lo est un indéniable classique de rap. Il était donc réjouissant de voir les auteurs, les universitaires américains Patrick Rivers et William Fulton, lui consacrer un livre entier. Malheureusement, on sait aussi que la qualité de ces monographies est très inégale, et celle-ci ne gagne pas sa place parmi les plus mémorables.
Les deux auteurs ont choisi une structure classique pour parler de cet album. Tout d'abord, ils ont présenté le parcours du duo, de ces deux hommes, Sonny Cheeba et Geechi Suede, qui avaient pour particularité de porter tous les deux le nom de Saladin (Salahadeen Wilds et Saladine Wallace). Ensuite, dans un long chapitre à la fin, ils ont décortiqué dans le détail chaque plage de Uptown Saturday Night. Mais cette approche, purement chronologique, s'avère laborieuse à la longue, d'autant plus qu'elle est entrecoupée d'extraits d'interviews qui appesantissent le propos, plus qu'ils ne l'éclairent. Elle est aussi très factuelle (avec erreurs à l'appui : non, Krystle Carrington n'est pas un personnage de la série Dallas, mais de sa rivale Dynasty, p. 81), alors qu'une démarche thématique aurait sans doute été bien plus parlante. Elle est analytique et descriptive, alors qu'une perspective plus large aurait été la bienvenue.
On retient malgré tout un enseignement de cet ouvrage, et il concerne la démarche particulière des deux Camp Lo qui, bien que proches de Biggie et de Jay-Z, et secondés par le producteur de ce dernier (Ski, futur Ski Beatz), lorgnaient plutôt du côté de Digable Planets et de De La Soul, que du rap de mauvais garçons. Le chapitre le plus éclairant de ce livre, c'est celui intitulé "The Diamon Delegates at D&D Studios", qui nous replonge dans l'atmosphère incroyable du hip-hop new-yorkais de l'époque, celle où tous les grands du rap enregistraient dans les mêmes studios et s'émulaient les uns les autres, où ils s'influençaient mutuellement tout en cherchant à se dépasser, concourant ainsi à délivrer chefs d'œuvre sur chefs d'œuvre.
Dans cet environnement compétitif, dans cette atmosphère chargée en fortes individualités, Sonny Cheeba et Geechi Suede ont dû trouver leur place et définir leur son à eux, en marge des modèles dominants de l'époque. C'est ainsi que Camp Lo est devenu un duo si mémorable et si original, comme le signalait cette pochette festive, si étrangère à l'esprit de l'époque.
Suede and Cheeba were certainly not Scarface, Biggie, or Snoop, but on the flip-side they were not directly comparable to the afro-centric Native Tongues collective (De La Soul, Queen Latifah, A Tribe Called Quest, and The Jungle Brothers) either. Similar to acts like Busta Rhymes, OutKast, and Dr. Octagon – an alter ego of Ultramagnetic MC's rapper Kool Keith – Camp Lo carved out a space in commercial hip hop where you didn't have to construct a rap identity on quintessential 'hood experience or socio-political thought, and set them apart with their accentuation of older black aesthetics (p. 69).
Suede et Cheeba n'étaient certainement pas Scarface, Biggie, ou Snoop, mais d'un autre côté ils n'étaient pas directement comparables au collectif afro-centrique Native Tongues (De La Soul, Queen Latifah, A Tribe Called Quest, et The Jungle Brothers) non plus. A la manière d'artistes tels que Busta Rhymes, OutKast, et Dr. Octagon – un alter ego du rappeur des Ultramagnetic MC's Kool Keith – Camp Lo s'est ménagé un espace dans le hip-hop commercial où il n'était pas nécessaire de se construire un identité rap sur la quintessentielle expérience des quartiers ou sur une pensée socio-politique, et qui les distinguaient en mettant l'accent sur une esthétique noire plus ancienne (p. 69).
Leur créneau à eux, en effet, ce serait la culture afro-américaine d'autrefois, celle d'avant le hip-hop, celle des années 70, de la "Great Black Music" et du cinéma Blaxploitation. Le titre de l'album, ils l'avaient volé à un film de Sidney Poitier avec Bill Cosby et Harry Belafonte. Leur pochette, ils l'avaient détournée de l'album I Want You de Marvin Gaye. Et ils développaient ici, pour reprendre le titre d'un de leurs morceaux, le concept de "Black Nostaljack". Ils ne cessaient d'investir une imagerie, voire un argot, caractéristique de la génération d'avant, avec même la petite touche hispanique sur "Rockin' It", qui rappelait que les Portoricains faisaient eux-aussi partie de cet univers-là. Là était leur proposition, leur valeur, leur intérêt, même si, pour s'en imprégner pour de bon, il conviendra d'écouter directement l'album, plutôt que de faire un détour par ce livre qui vous tombera des bras, et qui lui rend très mal honneur.
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