En 2015, la troisième mixtape de Kodak Black, sortie comme les deux précédentes en décembre, a une valeur particulière, car alors le rappeur de Floride commence à percer. Issu de son précédent projet, le très bon Heart of the Projects, le single "SKRT" a connu le succès après avoir été relayé par Drake. Des personnalités aussi diverses que Kevin Gates, Earl Sweatshirt et Kylie Jenner ont dit alors tout le bien qu'elles pensent du jeune garçon des "projects" de Pompano Beach. Désormais courtisé, il vient tout juste de signer, à 18 ans, un contrat avec la major Atlantic. Avec Institution, il répond à toute cette attention par une mixtape longue et dense, qui nous offre tout le loisir de saisir les différentes nuances de sa personnalité.
Institution, en effet, est un projet à haute teneur biographique. Issu d'une terre où ne pousse que la mauvaise graine, comme le sous-entend l'introductif "From the Ugly", Kodak Black y parle abondamment de lui et de son univers, le quartier. A plusieurs reprises, il dit vouloir en partir, il proclame son ambition sur "Get Up", et de manière plus nuancée sur le relevé "Sticky 1". Mais en vérité, le ghetto est son seul horizon, à en croire l'atmosphérique "HollyHood", où il prétend au contraire renoncer aux sirènes du show-business et vouloir persister dans son métier de délinquant. De fait, sur "Like Dat", il est un pécheur impénitent, avide de drogue, de sexe et de bagnoles étrangères. Et d'après "Real Nigga Files", son monde reste inchangé. La célébrité a beau lui tendre les bras, le rappeur se dit fidèle à la vie de la rue sur "Deep in These Streets", comme il le montrera au cours d'une carrière émaillée de poursuites judiciaires.
Le Floridien ne quitte pas son univers. Il est assigné à résidence, voire pire, à la prison, un thème au centre de la mixtape, comme l'indique cette pochette où il semble téléphoner de sa cellule, le visage inquiet, des menottes en or au poignet. Le pénitencier, c'est l'institution dont parle le titre de la mixtape, comme le révèle le morceau éponyme. Construit sur les notes de guitare sobres de "Treat Me Like Somebody", le single de Tink, ce dernier dévoile un Kodak Black en proie au doute quant à la fidélité de sa compagne, pendant qu'il croupit entre quatre murs. Dans le même ordre d'idée, il se languit de la serrer dans ses bras sur "I.M.Y (I Miss You)".
Car Kodak Black, avant tout, est un garçon sensible. Version rajeunie de Lil Boosie, il est comme lui un grand mélancolique, damné par son passé et condamné à la délinquance, comme il le sous-entend sur "Gospel". Son thème, c'est la rue qui t'oblige à grandir trop vite. C'est la sortie de l'innocence, quand sur "Fed Up", il se lamente que l'amitié et la loyauté ne sont que des chimères. C'est la perte des illusions, quand sur "Back on My Feet", il ne voit plus que profiteurs et hypocrites autour de lui. C'est le constat de sa solitude sur "Me, Myself & I". C'est le conflit interne de l'adolescent des quartiers en proie à des sentiments que la réalité oblige à refouler.
C'est manifeste sur des titres tels que le fantastique "Heart", où le rappeur se présente comme dur et insensible, pour se contredire aussitôt en parlant d'une déception amoureuse. Quand sur le même morceau, il dit "these streets ain't for lil kids, get out the road" (les rues c'est pas pour les p'tits gosses, dégage de là), c'est sans doute à lui-même que l'adolescent s'adresse. C'est à l'enfant trahi en lui qu'on l'entend crier sa détresse sur le morceau suivant, "If you ain't Ridin'", un autre moment fort de Institution, où Kodak Black confesse ouvertement son mal-être : "they don't see these bags under my eyes", y dit-il, "they see the paint on my ride" (ils ne voient pas les poches sous mes yeux, tout ce qu'ils voient c'est la couleur de ma bagnole).
Le timing est bon, en ce jour de noël où sort Institution. Parce qu'elle pose parfaitement le personnage juste après qu'il ait été découvert, certains la considèrent comme la grande œuvre de Kodak Black. En vérité, comme d'autres mixtapes du même auteur, celle-ci est trop longue pour être pleinement satisfaisante. Sur plus d'un titre, ses vers tous chantonnés sur le même mode s'avèrent lassants, d'autant plus qu'il est l'unique rappeur à s'exprimer le long de ces 76 minutes. Mais enfin, il y a assez de matière pour justifier l'engouement, pour solidifier la réputation de Kodak Black, et pour en faire, déjà, l'un des rappeurs marquants de la décennie.
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