Et pendant tout ce temps, que devient donc Atlanta ? Qu'en est-il de la ville qui, il y a dix ans, était la capitale incontestable du rap, celle qui nous inondait de projets et de rappeurs plus incroyables les uns que les autres ? Eh bien, Atlanta a suivi le chemin de ceux qui ont trop forcé sur les drogues. Elle a plongé dans le bizarre et dans la noirceur. C'est sur cette double-voie que nous a précipité 21 Savage, par exemple. Et c'est par là, dans un style différent, que s'est enfoncé encore davantage son cousin Quantavious Thomas, alias Young Nudy. Il l'a fait avec la série des Slimeball, sur Faded in the Booth et sur Sli'merre, ces projets qui l'ont peu à peu imposé dans le paysage rap. Et en 2020, avec Anyways..., il n'est pas question que cela change.
L'aspect bizarre de Young Nudy se manifeste tout de suite, avec ses sonorités étonnantes et inhabituelles, tantôt absconses, tantôt géniales, qu'on jurerait dénichées dans des programmes pour enfants. Et il ne s'agit pas que de la musique. La voix de Young Nudy aussi, qui parfois change de timbre, est étrange, et la façon dont il rappe l'est tout autant. Parfois, il marmonne, il mange ses mots, dans le registre du mumble rap. A d'autres moments, il chantonne, comme le veut également l'époque. Il s'exprime aussi de manière conversationnelle. Mais très souvent, il rappe à toute allure des textes denses et ramassés. Il passe d'un registre à l'autre, de façon impromptue, de manière rarement prévisible, brouillant les frontières entre couplets et refrains, parsemant le tout de dialogues, de rires, de répétitions ou d'onomatopées.
Quant à la noirceur, malgré le ton faussement enjoué de ses comptines trap, elle transparait dans les textes. Ce sont en effet des récits de gangster lugubres, qui parlent de meurtre avec malice et ironie, qui traitent de sexe sans passion, de filles qui couchent pour de l'argent ou de la drogue, et qui mettent en scène une violence gratuite, comme si Young Nudy vivait pour de vrai dans GTA, le jeu vidéo dont l'un des titres porte le nom. Le rappeur utilise tous ces vieux ingrédients, argent, baise, drogue, meurtre et armes à feu, puis il mélange et secoue le tout dans un désordre désespéré et je-m'en-foutiste, comme avec ce cocktail corsé qu'est l'excellent "Fuck Me Mean". Et quand il se fait plus intime, c'est pour nous parler de ce père qui l'a délaissé, et qu'il n'a rencontré qu'à ses 17 ans, à la mort de sa grand-mère ("A Nude Story").
L'an dernier, Young Nudy a pris une autre dimension quand il a collaboré avec J. Cole, cartonné avec le leak de "Pissy Pamper", avec Playboi Carti, rencontré le succès critique avec Sli'merre et fait les gros titres en étant arrêté par la police, avec 21 Savage. Avec Anyways, il aurait pu tirer profit de tout cela. Mais ce qui aurait dû être sa première sortie officielle est souvent présentée comme une mixtape, sa pochette ressemble à la jaquette photocopiée d'une cassette de punk hardcore du début des années 80, elle est dépourvue d'invités, et Pi'erre Bourne, qui produisait ses projets précédents, s'est effacé devant les producteurs inconnus Coupe et 20 Rocket.
C'est comme si le rappeur se méfiait de la réussite. Sans doute est-ce le cas, d'ailleurs, à l'entendre s'en prendre aux rappeurs gangsta d'opérette et proclamer résolument son authenticité sur un autre temps fort de l'album, "No Pretending". Ou bien, sur le titre suivant, "Marathon", exalter son quartier et refuser de le quitter pour la célébrité. Cette dernière, Young Nudy n'en aurait rien à faire, à l'écouter s'exprimer sur la musique de cirque de "Blue Cheese Salad": "I told you, I only make stoner music, gangster music, killer music, fuck your ho music, take your ho music". Je te l'ai dit, je ne fais que de la musique de drogué, de la musique de gangster, de la musique de tueur. Va te faire foutre avec ta musique pour les putes.
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