En 2006, la discographie de Frazier Thompson, alias Trae tha Truth, est déjà conséquente. Il a plusieurs solos très solides à son actif, des albums avec le Guerilla Maab, un autre avec le duo ABN et des apparitions sur mixtapes, notamment celles de la série Mixtape Messiah de Chamillionaire. Fort de tout cela, le rappeur issu du Screwed Up Click est déjà un héros underground. Il est une référence à Houston, une ville qui, quelques années plus tard, lui consacrera une journée de célébration, le Trae Day. Mais il n'est pas encore une figure nationale. En tout cas pas avant ce troisième album sorti sous les étiquettes conjointes des labels Rap-A-Lot, Asylum et Atlantic, qui lui offre une exposition et une distribution inédites.

TRAE - Restless

"Now it's time, that I introduce the world to Trae" dit le rappeur sur le très bon "Matter of Time", le morceau R&B de rigueur, avec la chanteuse Mya. "Maintenant, il est temps que je présente Trae au monde". Le Texan s'en tient donc à cette ambition, et joue de ses meilleurs atouts sur Restless, à commencer par le choix de ses invités. Ceux-ci sont encore des gens de Houston ou des alentours, comme son compère de toujours Z-Ro, Paul Wall, Pimp C, Bun B, Lil' Keke, Big Pokey et, post-mortem, Fat Pat et Big Hawk. Mais on y trouve aussi des rappeurs d'ailleurs comme Jim Jones, la Three 6 Mafia, Yung Joc, Young Noble des Outlawz, et même le parrain de ces derniers, 2Pac, ressuscité via quelques vers subtilisés au morceau "Dumpin".

Sur Restless, dès la profession de foi gangsta de "Real Talk", ou sur "So Gangsta", avec Bun B, Trae adopte la posture qui est la norme dans le rap des années 2000 : celle du malfrat fier, invulnérable et intimidant, qui s'exprime crânement sur une musique rutilante. A cela s'ajoutent cet impératif du rap de Houston qu'est l'ode à l'automobile, notamment sur le morceau "Cadillac", et son allégeance inébranlable à son ghetto. Mais quand on creuse, c'est parfois un homme introspectif et plongé dans ses états d'âme que l'on découvre avec Trae, sur le paranoïaque "Restless", quand il fait part de ses peines sur "The Rain" et "Song Cry", et sur "The Truth", quand il se penche sur son identité. C'est un homme asocial, qui exalte son envie de solitude sur les atrabilaires "Quit Calling Me" et "No Help", mais qui peut aussi être sentimental, quand il dit tout son amour pour ses frères de cœur sur "Dedicated 2 You".

Ce contraste, on l'entend aussi dans la musique. Souvent rutilante, parsemée à l'occasion de ces passages screwed & chopped qui sont la marque de fabrique de Houston, elle se fait plus suave et plus soul dans ses passages les plus douloureux. Tel est le cas sur "Restless" et sur "Song Cry", quand sont convoquées les complaintes de Willie Hutch et d'Aretha Franklin. Le rappeur lui-même adapte au propos sa voix extraordinairement basse, sombre et profonde. Il chante sur l'anti-romance "Quit Calling Me", et il est prompt aux changements de tempo, s'engageant parfois dans de prodigieuses accélérations, comme sur "No Help" et sur l'excellent "Real Talk", un morceau qui démarre l'album sur les chapeaux de roue avec ces guitares accélérées dénichées chez Wishbone Ash, et qui aurait mérité d'être son véritable single.

Ce titre est un temps fort de Restless. Mais il en compte d'autres comme le classieux "Swang", un hymne à Houston, au Screwed Up Click et à leur style de vie fait de lean, de virées en bagnole et de violence, tout autant qu'un hommage à Fat Pat, dont on sample le titre "25 Lighters" et dont on invite le frère, Big Hawk, juste avant que celui-ci soit assassiné à son tour. Dans le même ordre d'idée, il y a aussi "Pop Trunk Wave", avec son orgue poisseux, son synthétiseur scintillant et son refrain screwed. Tous deux clament la fidélité de Trae à sa clique et à sa ville, tant par les textes que par la musique. Et logiquement, c'est quand il est ainsi, bien installé au cœur de chez lui, que l'auto-proclamé "asshole by nature" est au sommet de son art.

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