Le petit zine dédié à Lil Wayne, publié il y a peu par Pure Baking Soda, était loin d'être un coup d'essai. Celui qui se cache derrière le site du même nom s'était déjà livré à cet exercice une première fois, à propos d'Outkast, puis en 2014, en se penchant sur le cas d'E-40. Le format était à peu près le même, et le fidèle Hector de la Vallée l'épaulait déjà, comme sur le blog, avec des dessins qui ont autant de valeur que l'écrit. Seules quelques coquilles témoignaient encore d'une démarche salutairement amatrice (honnêtement, quel gros éditeur parierait sur un ouvrage en français dédié à E-40 ?), ces quelques feuillets étant beaucoup plus documentés et plus passionnés que bien d'autres livres sur le rap, et se lisant à la manière d'un roman.
Le principe, lui aussi, était le même. On se penchait sur le parcours d'une grande figure du rap américain. On décrivait sa carrière, mais en se focalisant sur les origines, sur le contexte social et familial, plutôt que sur le temps de la reconnaissance et du succès, balayé quant à lui à très grande vitesse. On racontait ce parcours sous un angle très biographique, mais en même temps, la sujet était bien plus large qu'il n'y paraissait. Quand on traite d'Outkast, on se doit d'en venir à la Dungeon Family. Quand on évoque Lil Wayne, on est obligé de mentionner tous les Hot Boys. Et quand on se penche sur le cas d'Earl Stevens, c'est de toute l'écurie Sick Wid It dont il est évidemment question. Laquelle se confond étroitement avec la famille de l'intéressé.
L'histoire d'E-40, en effet, c'est celle de la réussite d'une entreprise familiale. Son père Earl Sr. ? Un musicien, qui voulait faire de ses enfants les nouveaux Jackson 5. Son oncle Saint Charles ? Celui qui allait le convaincre de se lancer en indépendant, plutôt que de pactiser immédiatement avec l'industrie du disque. Son frère Danell, sa soeur Tanina et son cousin Brandt ? Ses compères D-Shot, Suga T et B-Legit au sein du groupe The Click. Ses autres cousins Jamal et Demar ? D'autres rappeurs en vue de la ville de Vallejo, Mac Mall et Turf Talk. Ses fils Earl Jr. et Emari ? D'autres rappeurs encore (ou producteurs), Droop-E et Issue.
Comme avec les deux autres zines, au-delà du cas du rappeur, au-delà même de ses proches, c'est de toute une scène dont il est question. Ici, Pure Baking Soda traite de l'un des centres les plus importants et les plus influents du rap américain : la Baie de San Francisco dont, avec son aîné Too $hort, E-40 est l'indiscutable parrain. Il parle de ces disques vendus depuis le coffre des voitures, de ces aventures en indépendant et de cette diversification (Earl Stevens ne s’est-il pas lancé dans le vin ?) qui disent tout de l'esprit d'entreprise des rappeurs locaux, qui montrent la façon dont ils se sont construits, en marge de l'industrie du disque. Il évoque les liens que cette scène a établis avec le rap du Midwest, et qui perdurent aujourd'hui. Il aborde tous ces sous-genres, de la mob music au hyphy, qui seront caractéristiques de la Bay Area.
Ces genres, E-40 y prendra à chaque fois une part centrale, à toutes les étapes de sa longue carrière, sans jamais se départir de ce qui le caractérise : une voix reconnaissable entre mille, un gangsta rap qui déborde très franchement du côté de la gaudriole, et donc, cet esprit de famille, cet instinct de clan, qui sans doute a contribué à son incroyable longévité artistique.
Fil des commentaires