Au cas où vous l'ignoriez encore, Nicolas Pellion est le meilleur critique rap en France. Or, en plus d'intervenir régulièrement sur son blog, ainsi que dans quelques émissions ou articles à droite et à gauche, celui que l'on connait par ailleurs sous le nom de Pure Baking Soda a aussi publié quelques livres. Ou quelques livrets, plus exactement, ceux-ci optant pour un format court et souple, à mi-chemin entre la monographie proprement dite, et l'écriture web. Ils comportent en effet des articles déjà partagés sur son site et, comme sur ce dernier, ils sont abondamment illustrés par le fidèle complice Hector de la Vallée. Ce sont de vraies œuvres communes, où la dimension graphique compte autant que la textuelle, que les deux hommes nous ont livrés avec leurs volumes sur Outkast, sur E-40, et tout dernièrement sur Lil Wayne.

PURE BAKING SODA & HECTOR DE LA VALLEE - Lil Wayne & The Hot Boy$

C'est donc avec le natif de La Nouvelle Orléans que Pure Baking Soda a poursuivi cette patiente visite guidée de son panthéon rap. Il en livre une biographie détaillée, à la narration travaillée, à la plume littéraire. Ce livre, en effet, se lit comme un roman. Ou plutôt comme un biopic de cinéma, avec ses flashbacks, avec ses sauts dans le temps destinés à éclairer tel ou tel moment de la carrière de Weezy, tel ou tel passage de ses paroles, à la lumière de ses traumatismes de jeunesse. Et des traumatismes, le jeune Dwayne Michael Carter Jr. en a connus un certain nombre : l'absence du père, remplacé un temps par l'amant dealer de sa mère, puis par Birdman, le patron de Cash Money ; des migraines intenses, qu'il ne parvient à contenir qu'avec la drogue ; une grave blessure par arme à feu qu'il s'est infligé à 12 ans. Et tous les aléas qui accompagnent logiquement une vie passée dans le quartier pauvre et dangereux d'Hollygrove.

Pure Baking Soda insiste lourdement sur ce contexte. Ce qu'il nous raconte, c'est même surtout cela : la genèse de Lil Wayne. C'est tout ce qui a précédé les années 2005 à 2008, celles où, comme il l'a lui-même prétendu, il a été le meilleur rappeur en activité. Comme l'indique le titre du livre, il n'est pas question que de lui, mais aussi de ses compères des Hot Boy$, le groupe de ses débuts, et plus particulièrement de ce junkie de B.G., son frère de cœur. La carrière solo de Lil Wayne n'est vraiment abordée que dans la seconde moitié du livret. Et encore, il n'en livre même pas l'intégralité. Passée cette apothéose qu'a été la sortie de Tha Carter III, Pure Baking Soda ne parle même plus du rappeur. Celui-ci ayant alors cessé en grande partie d'être pertinent, artistiquement parlant, le livre s'en désintéresse. Tout juste consacre-t-il un chapitre au tardif Carter V, son album de 2018, parce qu'il est en quelque sorte un retour aux sources.

Ce passage excepté, Pure Baking Soda ne traite plus directement de Lil Wayne. Il ne le fait que par procuration, en dressant le portrait de deux de ses héritiers les plus significatifs, Young Thug et Kodak Black, et en évoquant quelques autres comme Drake et Future. Le livre, alors, pointe du doigt tout ce que ces rappeurs capitaux doivent à celui de La Nouvelle-Orléans, l'un par son approche fantasque et hallucinée, l'autre par son introspection trempée dans la même eau sale que celle qui a autrefois abreuvé le blues. L'ouvrage explicite ainsi sur ce qu'il cherchait avant tout à démontrer : le rôle pivot qu'a eu Lil Wayne dans le passage d'une génération de rap à la suivante. L'influence décisive qu'a eu ce jeune garçon génial et possédé de La Nouvelle Orléans, la plus grande peut-être, sur la musique de son époque.

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