Intitulé d'après l'un de ses surnoms, Bad Azz est le troisième album solo de Lil Boosie. Mais il est aussi, et surtout, son premier sur major. Non pas que le rappeur de Baton Rouge change alors de label. Il est toujours chez Trill Entertainment, l'écurie de Pimp C. Ce dernier, cependant, vient de négocier un accord de distribution avec Asylum, elle-même une division de Warner. Du même coup, cet accord offre à Boosie une exposition inédite au niveau national, il le sort de la confidence, d'abord avec Gangsta Musik, son second album avec Webbie, puis deux ans après avec ce solo.

LIL BOOSIE  - Bad Azz

Naturellement, ceux qui ne sont pas initiés au style propre à sa ville et qui le découvrent alors, ne comprennent pas tout de suite cette musique. Ils ne réalisent pas qu'on entend là l'un des plus grands de l'histoire du rap. Il est cocasse, en lisant des critiques de l'époque, de lui voir reproché un manque de personnalité sous prétexte que, dès le coup de feu qui démarre l'album, il déploie toute la panoplie gangsta. Alors que sa voix acerbe et possédée, tout au contraire, est l'une des plus distinctives qui soient, et que peu sauront comme lui concilier, en un tout indissociable, volonté de faire la fête, violence congénitale et mélancolie profonde.

L'art de Boosie est d'agencer tout cela en un tout cohérent, d'assembler ces éléments contradictoires, et pourtant tous alimentés par le pessimisme fondamental de ce garçon, Torrence Hatch, qui n'a jamais été gâté par la vie, entre l'assassinat de son père, la sauvagerie de son milieu d'origine et ses lourds problèmes de santé. Le conclusif "Smoking On Purple", avec Webbie, le démontre, quand on y entend tout autant son instinct de mort que sa furieuse envie de jouir.

Rétrospectivement, il est comique de voir certains, peu au fait du rap de Baton Rouge, moquer l'absence de diversité de cet album produit pour l'essentiel par BJ et Mouse On Tha Track, alors qu'en vérité, le rappeur multiplie les services et les plats, passant des rythmes et des sifflets de carnaval de "When You Gonna Drop", au lent et agressif "Set It Off", puis à la musique de club de "Zoom", avec Yung Joc.

Il bascule aussi de l'ode aux potes et de la fanfare synthétique de "My Niggas", à l'extatique et au lubrique "Exciting", à la romance particulière de "Distant Lover", où il rend hommage aux maîtresses qu'il a dans chaque ville, puis aux mélodies chaloupées de "I Remember" et de "My Struggle", deux titres, à nouveau, dont la musique enjouée contraste avec les paroles, avec ces longues revues des tragédies et des dysfonctionnements qui ont affecté l'existence de Boosie.

Oh, certes, ce n'est pas de l'art. En tout cas pas tel qu'on l'entend usuellement. Cet album long et épuisant n'est pas un chef d'oeuvre de mesure et d'équilibre. Ce n'est pas non plus une musique de l'adresse, de la prouesse et de l'exploit, ce n'est pas ce sport avec lequel se confond souvent le hip-hop. Mais c'est bien mieux, tellement mieux que cela. C'est un rap venu des tripes, c'est la manifestation d'un urgent désir de jouissance, c'est un long cri clamé par Lil Boosie comme si demain la prison l'attendait encore, voire pire, la mort.

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